« Nous n’avons jamais eu autant besoin de biométhane pour se substituer au gaz fossile et il n’a pourtant jamais été aussi difficile de mettre en route un projet »

Publié le 25/11/2022

6 min

Publié le 25/11/2022

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Le 29 et 30 septembre, Biogaz Vallée organise la 10e édition de sa convention d’affaire sur le biogaz et la méthanisation. Des journées importantes pour une filière certes dynamique mais qui connaît une année 2022 compliquée dans un contexte économique et énergétique morose, face également au durcissement des contraintes réglementaires, qui créé de nombreuses difficultés opérationnelles sur le terrain.

Propos recueillis par Laura Icart

 

Grégory Lannou, directeur de Biogaz Vallée et Julien Schmit, président  de la Commission gaz vert de l’Association française du gaz Auvergne-Rhône-Alpes reviennent sur les enjeux, les difficultés et les attentes d’une filière qui constitue une brique importante dans la décarbonation de nos usages énergétiques.

Durcissement réglementaire, flambée des coûts, manque de rentabilité des projets : cette 10e édition s’ouvre dans un contexte paradoxal…

Grégory Lannou : Oui, le contexte est particulier. Nous vivons un paradoxe en réalité. Car si la filière du biogaz est la seule énergie renouvelable à avoir dépassé les objectifs fixés dans la programmation pluriannuelle de l’énergie et qu’elle participe activement à notre résilience nationale et à construire une souveraineté énergétique locale, elle est aujourd’hui quasi à l’arrêt. Ce qui est un non-sens total dans un contexte où tout nous pousse à accélérer sur le développement du biométhane et où nous savons que notre modèle énergétique actuel n’est pas soutenable.

Julien Schmit : Effectivement, nous n’avons jamais eu autant besoin de biométhane pour se substituer au gaz fossile, et il n’a pourtant jamais été aussi difficile de mettre en route un projet [selon Odré, une cinquantaine de projets ont fait l’objet d’une réservation de capacité en 2022, NDLR]. En Auvergne-Rhône-Alpes où il y a un fort écosystème industriel, les professionnels sont inquiets car entre les évolutions réglementaires qui se multiplient depuis 2020, la baisse des tarifs d’achats et la hausse des coûts énergétiques mais aussi des matières premières, c’est toute la rentabilité de leurs entreprises qui est mise à mal. Pourtant ils participent à leur échelle à accompagner une transition énergétique territoriale.

Quels sont les grands enjeux de cette 10e édition ?

Grégory Lannou : Les enjeux restent les mêmes : accompagner le développement du marché de biogaz en France, aider le marché à se structurer et créer un écosystème compétitif et innovant pour nos entreprises, nos agriculteurs et nos territoires. C’est l’ADN de Biogaz Vallée et notre convention permet non seulement de faire le point sur les grandes préoccupations de la filière mais aussi et surtout de créer du lien, de favoriser les échanges entre les acteurs et de proposer des solutions en fonction de la ressource, du territoire et des opportunités de marché. Notre volonté, vraiment, est d’être un apporteur de solutions et de répondre aux besoins des porteurs de projets.

Julien Schmit : Comment puis-je générer des revenus supplémentaires ? Comment diminuer mes coûts ? Comment adapter mon modèle économique au contexte actuel ? L’enjeu est vraiment d’apporter un éclairage complet dans un contexte conjoncturel particulier tout en répondant à des enjeux plus structurels inhérents à la vie d’une filière en plein développement. Cette année, il y a beaucoup de préoccupations autour de la hausse des prix de l’énergie et particulièrement de l’électricité. On se retrouve avec des projets qui étaient viables économiquement il y a deux ans et qui voient aujourd’hui leur modèle économique s’écrouler avec le renchérissement des coûts énergétiques et des coûts  de construction.

Derrière le développement de la filière méthanisation, c’est de la réindustrialisation, de la valeur ajoutée pour les territoires, des revenus supplémentaires pour les agriculteurs.

Diriez-vous que les politiques publiques et le gouvernement manquent d’ambition pour développer la méthanisation dans notre pays ?

Grégory Lannou : Il me semble parfois qu’il y a une forme de rupture entre ce que l’on voit tous les jours sur le terrain, les réalités concrètes et les préconisations des pouvoirs publics. Je ne dirais pas pour autant qu’ils sont déconnectés mais la transition énergétique et l’évolution de nos modes de consommation vont au-delà du passage de l’hiver. Il faut de la visibilité sur du long terme et une véritable ambition en adéquation avec le potentiel de la filière. Derrière le développement de la filière méthanisation, c’est de la réindustrialisation, de la valeur ajoutée pour les territoires, des revenus supplémentaires pour les agriculteurs. En France, nous avons en plus cette chance d’avoir des compétences et des entreprises particulièrement innovantes avec beaucoup de start-ups mais aussi de grands groupes énergétiques qui soutiennent cette filière. Ce savoir-faire made in France s’exporte déjà l’étranger et c’est une chance d’avoir de telles entreprises sur notre territoire. La filière méthanisation c’est plus de 80 % en moyenne de la valeur ajoutée créée en France qui reste en France [80 à 90 % pour les Opex, 50 à 75 % pour les Capex, NDLR].

Julien Schmit : Oui, il faut une véritable ambition politique et allier les discours aux actes. La filière du biométhane, c’est plus de 8 TWh de puissance installée et un potentiel estimé à plus de 50 TWh en 2030. Il nous faut aussi de la simplification et de la lisibilité afin de  construire une vraie vision structurelle en adéquation avec les gisements de chaque territoire. Par exemple, en Auvergne-Rhône-Alpes, la région et la filière portent l’objectif d’atteindre 180 unités de méthanisation en service et 1,5 TWh de production à la fin de l’année 2023. La grande majorité des régions ont fixé des objectifs ambitieux. Nous avons le potentiel, reste à se donner les moyens politiques pour ancrer cette filière dans notre mix énergétique. 

Crédit : Olivier Douard/DR.