Imaginer les futurs gaziers

Publié le 26/01/2022

8 min

Publié le 26/01/2022

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Relocaliser l’activité et accélérer la bascule de la France vers un mode de développement bas carbone, ce sont les promesses portées par l’essor des filières des gaz renouvelables et de l’hydrogène. Sources d’innovations, d’emplois et d’attractivité, véritables vitrines technologiques d’un savoir-faire et d’une compétence française, ces filières participent tout à la fois à décarboner nos usages, à maintenir la résilience de notre système énergétique et contribuent activement à renforcer la souveraineté industrielle de notre pays, à l’heure où les transitions écologiques, énergétiques, alimentaires et sociales appellent à un changement sociétal majeur.

Par Laura Icart

 

La méthanisation, la pyrogazéification et la production de gaz à partir d’électricité renouvelable et bas carbone, plus communément appelées power to gas, sont autant de technologies qui contribuent à verdir la part du gaz dans le mix énergétique français. En France, la loi énergie et climat fixe une diminution de 40 % de la consommation d’énergies fossiles d’ici 2030. À la même échéance, le pays doit également porter la part des énergies renouvelables à 33 % au moins de sa consommation finale brute. Pour y parvenir il faudra notamment que le gaz vert représente 10 % de la consommation de gaz, soit une production de 39 à 42 TWh par an de biométhane. Aujourd’hui, la capacité maximum de biométhane injecté dans les réseaux gaziers a dépassé les 6 TWh et représente 2 % de la consommation française de gaz naturel.

Le défi des transitions

En 2050, la neutralité climatique devra s’imposer à nous. Les voies pour y parvenir seront multiples et composées de solutions à court, moyen et long terme. Sur ce chemin, la filière gazière se positionne à tous les échelons avec trois générations de gaz renouvelables, de la recherche innovante avec les microalgues où l’histoire reste à raconter, au défi de l’industrialisation avec la pyrogazéfication à la maturité atteinte par la méthanisation qui doit maintenant trouver le bon équilibre pour pérenniser son développement. Et il y aura bien évidemment l’hydrogène, dont la production est appelée à se massifier sur notre territoire et qui aura besoin des infrastructures gazières, réseaux et stockage, pour mailler le territoire français et européen et faciliter le déploiement d’un hydrogène compétitif avant la fin de la décennie. Un enjeu fort pour la France, un enjeu fort également pour l’Europe puisque les dernières annonces de la Commission européenne, en décembre, dans le cadre du « Fit for 55 » indiquent que les gaz verts, du méthane à l’hydrogène, pourraient représenter les quatre cinquièmes de la consommation gazière européenne à horizon 2050. 

Méthanisation : la génération de la maturité

La France compte aujourd’hui un parc méthanisation de plus de 1 200 unités dont 356 injectent dans les réseaux gaziers. Si la cogénération reste majoritaire, le dynamisme de la filière française du biométhane n’est désormais plus à prouver. En quelques années, son potentiel s’est considérablement accru, grâce à une dynamique territoriale forte portée en grande partie par le monde agricole mais aussi par un écosystème de plus 500 entreprises françaises qui ont fait de cette filière un véritable laboratoire de talents, se payant au passage le luxe de quelques premières mondiales, comme l’iséroise Waga Energy avec sa technologie d’épuration de biogaz de décharge ou comme la drômoise Prodeval. Elles constituent aujourd’hui la belle vitrine d’un savoir-faire made in France qui s’exporte au-delà de nos frontières. Selon une étude Xerfi (« Le marché du biogaz à l’aube de la maturité industrielle ») publiée en décembre 2019, le chiffre de la filière biogaz en 2018 s’élevait à plus de 800 millions d’euros : il a été multiplié par 7 en 10 ans et pourrait encore doubler d’ici trois ans, preuve que si la filière arrive à maturité, son potentiel reste bien réel, malgré les baisses de tarifs d’achat et dans l’attente des certificats de production de biométhane. Cette réalité est aussi le fruit d’une filière qui excelle à bien des niveaux et porte haut un savoir-faire technologique français qui contribue à notre souveraineté énergétique. « Plus de 60 % des unités de méthanisation sont désormais réalisées par des entreprises françaises » souligne l’Association française du gaz (AFG) qui précise qu’« une bonne exploitation des gisements français de déchets permettrait de produire 40  % des besoins de gaz naturel du pays en 2050 » et de limiter ainsi nos importations, améliorant au passage notre balance commerciale. Au côté des grands énergéticiens français et européens, PME et start-ups participent activement à l’industrialisation de la filière et à l’attractivité de nos régions avec une valeur ajoutée répartie sur l’ensemble du territoire. Un écosystème industriel français présent sur toute la chaîne de valeur, des concepteurs aux constructeurs et équipementiers, en passant par les développeurs, avec une compétence reconnue en France comme à l’international.

Autre filière d’excellence qui s’avère particulièrement prometteuse : la pyrogazéification des résidus solides. Elle traite les déchets résiduels secs non fermentescibles souvent destinés à l’enfouissement ou l’incinération. Elle représente aussi une manne d’emplois porteuse sur nos territoires, avec la création à horizon 2050 de près de 10 000 emplois, entraînant dans son sillage un réseau de jeunes entreprises innovantes et de PME qui viennent prêter main forte aux grands acteurs du monde des déchets. Arrivée à maturité technologique, son déploiement industriel va s’accélérer d’ici 2024.

L’hydrogène, en avant toute

À l’horizon 2050, l’hydrogène renouvelable ou bas carbone pourrait répondre à 20 % de la demande d’énergie finale et participer pour l’équivalent d’un tiers aux réductions de CO2 à réaliser pour atteindre les objectifs du plan climat. Dans l’industrie comme dans la mobilité, la filière hydrogène a un rôle considérable à jouer ces prochaines années et pourrait devenir un des fleurons du savoir-faire technologique français avec des entreprises positionnées sur toute la chaîne de valeur et des chercheurs parmi les plus reconnus au monde. La consolidation de la filière industrielle hydrogène française (fabricants ou assembleurs de véhicules, équipementiers, fabricants d’électrolyseurs et de piles à combustible, réservoirs, stations-service…), qui compte quelques pépites comme McPhy, Symbio, Genvie, portée par une communauté scientifique et universitaire de premier plan, est aujourd’hui en marche, très largement soutenue par une classe politique unanime sur le potentiel de ce vecteur énergétique, même si cette réussite sera avant tout conditionnée par notre capacité à produire de l’hydrogène décarboné à grande échelle. Si la France compte actuellement moins de 5 mégawatts d’électrolyseurs et environ 400 véhicules circulant à l’hydrogène, l’année écoulée aura vu « une véritable montée en puissance de la filière » affirme Philippe Boucly, président de France Hydrogène, plaçant même la France dans le peloton de tête des pays européens en matière d’hydrogène. Bien sûr, l’histoire commence. Les 10 milliards d’euros mis sur la table devraient permettre au tissu industriel français et européen de déployer ses ailes. Sur cette route, les infrastructures gazières auront un rôle à jouer. Dans un rapport technique publié en juin 2019, les opérateurs d’infrastructures gazières ont confirmé qu’il était possible d’intégrer un volume significatif d’hydrogène dans le système gazier d’ici 2050 avec des coûts limités d’adaptation. À court terme, un taux de 6 % en volume d’hydrogène est atteignable en mélange dans la plupart des réseaux, avec peu d’adaptations, et compatible avec la plupart des installations des consommateurs actuels de gaz. Des travaux de recherche sont toujours en cours sur ce sujet menés notamment par Rice, le centre de R&D de GRTgaz. Demain, il faudra aussi transporter, stocker et distribuer de l’hydrogène dans les réseaux gaziers. Alors que l’hydrogène est présenté comme « le » vecteur de décarbonation de  l’industrie – une industrie qui doit réduire de 81 % ses émissions de gaz à effet de serre pour atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050 fixé par la stratégie nationale bas carbone (SNBC) -, son transport en grande quantité et à moindre coût pour relier zones de production et de consommation sera particulièrement intéressant, en complémentarité avec des projets de production locale et davantage décentralisés.

Crédit : Shutterstock.