Électrolyseurs : doit-on craindre une pénurie de matières premières ?

Trois pays concentrent en 2021 les principales réserves de nickel de la planète : l’Indonésie, l’Australie et le Brésil.

Publié le 13/12/2022

9 min

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L’ hydrogène est considéré comme l’une des solutions clés pour atteindre les objectifs mondiaux de décarbonation. Condition sine qua none, il doit être produit avec des technologies à faible émission carbone comme l’électrolyse via des énergies renouvelables. Dans une étude publiée ce 13 décembre, le cabinet Sia Partners revient sur les enjeux autour des matières premières nécessaires à la fabrication des électrolyseurs, alors que la demande mondiale augmente pour répondre aux objectifs ambitieux de production fixés par les États du monde.

Par Laura Icart 

 

Vecteur énergétique phare de la décarbonation de nos économies, notamment pour les applications industrielles et de transport, l’hydrogène renouvelable sera principalement produit dans la prochaine décennie par électrolyse. En France par exemple, la dernière étude de France hydrogène montre que 95 % des projets développés à horizon 2030 comprennent l’utilisation d’électrolyseurs. Une montée en puissance d’ici la fin de la décennie qui pose quelques questions, notamment sur la durabilité de l’approvisionnement mais aussi sur les risques qui pourraient apparaître sur un marché des matières premières déjà tendu et des compétitions naissantes sur les autres usages, notamment celui des véhicules électriques. « Pour atténuer les risques, il est nécessaire d’acquérir des connaissances sur les défis futurs liés aux matériaux critiques dans l’économie de l’hydrogène » estime Charlotte de Lorgeril, associée énergie et utilities chez Sia Partners.

Faire face à la hausse « massive » de la demande…

Dans les années à venir, le développement important de l’économie de l’hydrogène renouvelable augmentera « fortement » la demande d’électrolyseurs, note Sia Partners. Le cabinet note que 850 GW de capacités installées seront nécessaires d’ici 2050 alors que la capacité mondiale s’élève aujourd’hui à environ 0,3 GW. L’Union européenne dans sa stratégie hydrogène affiche l’ambition que 13 % de son électricité soit produite à partir d’hydrogène renouvelable d’ici 2050. Un objectif qui a conduit l’UE à fixer l’ambition d’installer 6 GW d’électrolyseurs pour produire a minima 1 million de tonnes d’hydrogène renouvelable par an d’ici 2024. Un million de tonnes et cette même capacité d’électrolyseurs, c’est ce qu’envisage de produire en France la filière de l’hydrogène à partir de 2030. De son côté, l’UE espère avoir atteint en 2030 une puissance de 40 GW d’électrolyseurs, pour une production annuelle de 10 millions de tonnes in situ. La stratégie européenne prévoit également d’importer à ce même horizon 10 millions de tonnes. En septembre, les États-Unis ont annoncé des ambitions réhaussées en matière d’hydrogène, affichant l’objectif similaire à l’UE de produire sur leur sol 10 millions de tonnes d’hydrogène « vert » d’ici 2030, soit « un doublement de la production actuelle située autour de 5 millions de tonnes » selon l’administration américaine, mais dont la traçabilité « renouvelable » n’est pas démontrée. Les États-Unis ambitionnent de produire près de 50 millions de tonnes d’hydrogène chaque année en utilisant différentes technologies d’électrolyse, notamment celle dite « solid oxide electrolyzer cell » (SOEC), soit une une technologie à haute-température combinée à des centrales nucléaires.

… et aux risques de tension sur la ressource

Face à toutes ces ambitions, les projets d’électrolyseurs fleurissent un peu partout dans le monde. Sia Partners estime que certaines matières premières pourraient manquer « rapidement » pour les fabricants d’électrolyseurs et appelle les gouvernement à anticiper cette réalité en « diversifiant » dès à présent leur stratégie d’approvisionnement en fonction de la géopolitique, de la technologie mais aussi des risques sociaux et environnementaux. Les experts estiment que le marché des électrolyseurs dépend de matières premières inégalement réparties sur la planète, pouvant créer des « situations de monopole » et des tensions sur les approvisionnements. L’iridium, cousin lointain du platinium, particulièrement adapté pour les usages industriels, notamment pour sa résistance à la corrosion, n’est produit que sur une zone restreinte autour de l’Afrique du Sud qui fournit 80 % de la production mondiale. Il est pourtant incontournable pour assurer une bonne durée de vie des bougies dans les moteurs et pour la technologie d’électrolyseurs PEM (membrane échangeuse de protons) « très dépendante des minéraux du groupe du platine dans les systèmes anodiques et cathodiques » dont fait partie l’iridium, précise Sia Partners. Autre risque recensé, la « vulnérabilité économique », avec des matières premières parfois interdépendantes les unes des autres, sujettes à des volatilités de coûts importantes sur le marché mondial. En mars, le nickel a par exemple atteint 100 000 dollars la tonne sur le marché asiatique, soit presque 10 fois son prix moyen enregistré en 2019. « Une grande volatilité  qui empêche les investisseurs d’avoir des perspectives claires et augmente les risques financiers » note Sia Partners. Autre vecteur de risque important : le facteur humain et environnemental. L’extraction de certaines matières premières causent des dégâts très importants, parfois irréversibles, sur les écosystèmes et impactent directement la vie des populations environnantes, d’où l’importance de construire aussi des stratégies et des politiques publiques basées sur une analyse en cycle de vie.

Six matières critiques et trois technologies passées au crible

L’étude de Sia Partners se concentre sur six matières premières (zirconium, titanium, nickel, iridium, platinum, yttrium) jugées critiques dans le développement et la massification d’hydrogène renouvelable par électrolyseur et se réfère à trois technologies. La plus mature est l’alcaline, qui utilise très peu de matériaux critiques à l’exception du nickel ; la PEM utilise des minéraux présentant des fortes « vulnérabilités sur les chaînes d’approvisionnement » note Sia Partners ; et la technologie « solid oxide electrolyzer cell », actuellement peu développée, qui repose principalement sur des terres rares et des matières premières stratégiques. En France, Genvia a commencé à industrialiser une technologie du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) basée sur une technologie d’électrolyseur à oxyde solide et va construire à Béziers (Hérault) une gigafactory. Le plus grand électrolyseur SOEC au monde, d’une puissance de 2,6 MW, est actuellement en cours d’installation à Rotterdam (Pays-Bas) par l’allemand Sunfire. En août, l’entreprise danoise Topsoe a annoncé une décision d’investissement pour la construction à Herning d’une usine de fabrication d’électrolyseurs SOEC, d’une capacité de production annuelle de 500 MW avec une extension déjà prévue à 5 GW par an à terme. Cette technologie reste cependant « en phase de développement » note Charlotte de Lorgeril, mais présente l’avantage « de permettre une conversion de l’eau en hydrogène avec une grande efficacité énergétique (> 85 %) ». La plupart des matériaux dans les technologies alcalines sont des métaux dont l’approvisionnement n’est « pas menacé » mais cette technologie gourmande en nickel reste à surveiller et même si, selon Sia Partners, la demande mondiale en nickel devrait « se réduire ». Le nickel est un matériau principalement utilisé pour la fabrication de batteries pour les véhicules électriques et pour améliorer la soudabilité et la résistance à la corrosion d’un électrolyseur. D’après le Nickel Institute, l’association mondiale des producteurs de nickel, la part du nickel présente dans les batteries lithium-ion utilisées dans les véhicules électriques atteint 33 % dans les batteries dites « nickel cobalt aluminium » (NCA) et 80 % dans les batteries dites « nickel manganese cobalt » (NMC). Si ces dernières ne représentent aujourd’hui que 8 % des batteries lithium-ion, leur part devrait croître à 50 % d’ici 2030. Trois pays concentrent en 2021 les principales réserves de nickel de la planète : l’Indonésie, l’Australie et le Brésil. Le principal producteur mondial, l’Indonésie, devrait produire en 2022 environ 1,4 million de tonnes de nickel, loin devant le deuxième producteur, les Philippines, avec environ 370 000 tonnes. Les États-Unis en ont produit 18 000 tonnes en 2021. La France, qui a lancé en décembre un observatoire des ressources minérales pour les filières industrielles (Ofremi) mais aussi une délégation interministérielle aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques directement rattaché à Matignon, ne produit pas de nickel et ne peut pas s’appuyer sur la production importante de la Nouvelle-Calédonie, cinquième producteur mondial (190 000 tonnes en 2021), directement vendue aux États-Unis. Pour les technologies PEM qui utilisent du platinium, de l’iridium mais aussi du titanium, l’approvisionnement présente « un risque important » avec des réserves qui s’épuisent et des extractions nocives pour l’homme et l’environnement. Sia Partners estime qu’il faut dès à présent mener et soutenir financièrement des activités de R&D « pour identifier des alternatives ou réduire l’intensité des matériaux ». Enfin, pour les technologies d’électrolyseurs SOEC, principalement dépendantes de l’yttrium et du nickel, le cabinet d’étude expert des questions énergétiques indique qu’il faut réduire « la pression sur l’approvisionnement primaire » et incite les gouvernement « à augmenter le taux de recyclage des matériaux critiques afin de réduire la dépendance à l’importation ».

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