UE : un accord trouvé sur la réduction des émissions méthane du secteur de l’énergie

Dans l’Union européenne, le secteur de l’énergie représentait l'année dernière 19 % des émissions anthropiques de méthane (hors importations) soit plus de 4 millions de tonnes émises contre 40% au niveau mondial. © Shutterstock

Publié le 15/11/2023

8 min

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L’Union européenne a trouvé ce 15 novembre un accord pour encadrer plus strictement les règles visant à réduire les émissions de méthane du secteur de l’énergie en Europe mais aussi sur ses importations, contribuant ainsi à l’objectif de diminuer ses émissions de méthane de 30 % d’ici 2030 et à la lutte globale contre le réchauffement climatique.

Par Laura Icart

 

« C’est un texte essentiel pour l’action climatique » souligne la ministre espagnole de la transition écologique Teresa Ribera Rodriguez dont le pays assure la présidence tournante du Conseil de l’UE jusqu’à la fin de l’année. « La lutte contre les émissions de méthane est une politique gagnant-gagnant. Elle est bénéfique pour notre planète et pour les consommateurs » a souligné de son côté Maroš Šefčovič, le vice-président exécutif chargé du pacte vert pour l’Europe. Pour l’eurodéputé français Pascal Canfin, co-rapporteur du texte, « à quelques jours de la COP 28 c’est la fin d’un point aveugle de notre stratégie pour le climat » a-t-il déclaré sur le réseau X. Cet accord qui voit la naissance de la législation la « plus stricte au monde » en matière de contrôle des fuites de méthane, selon le cabinet de la ministre de la Transition énergétique française Agnès Pannier-Runacher, est le fruit de deux années de dialogue entre le Parlement, le Conseil et la Commission.

La lutte européenne contre le méthane

Le méthane est responsable d’environ 30 % de l’augmentation des températures mondiales depuis la révolution industrielle. Après avoir présenté une stratégie de lutte contre les émissions de méthane en 2020, la Commission européenne a présenté en décembre 2021 une série de mesures législatives concrètes pour réduire les émissions « fugitives » de méthane dans le secteur de l’énergie en Europe et dans sa chaîne d’approvisionnement mondiale. Pour tenir son objectif de réduire de 30 % d’ici 2030 ses émissions de méthane par rapport à 2020 comme elle s’y est engagée à la COP26 et via l’initiative américano-européenne « Global Methane Pledge » (150 pays adhérents qui représentent actuellement 55 % des émissions totales de méthane provenant des activités humaines et environ 45 % du méthane provenant de l’exploitation des combustibles fossiles), l’UE a adopté  aujourd’hui  la première législation européenne sur les fuites de méthane.

Le CH4, responsable d’un tiers du réchauffement climatique actuel

Les concentrations de méthane, un forceur climatique à courte durée de vie ainsi qu’un précurseur d’ozone troposphérique, impactent aussi bien le climat que notre santé et ne cessent d’augmenter. Le méthane est le deuxième contributeur au forçage radiatif total des gaz à effet de serre, à hauteur de 19% après le CO2  (68 %) et avant le N2O (7 %) selon l’Organisation météorologique mondiale. Bien qu’elles restent moins d’une décennie dans notre atmosphère, les concentrations moyennes mondiales de CH4 ont augmenté en 2021 à leur plus haut niveau depuis 40 ans. Selon l’Agence européenne pour l’environnement, les secteurs de l’agriculture, des déchets et de l’énergie sont responsables respectivement de 53 %, 26 % et 19 % des émissions de méthane de l’UE. Mais l’Union, en tant que premier importateur de gaz fossile au monde, doit être dans « une démarche d’exemplarité » estiment de nombreux climatologues. L’adoption provisoire de ce nouveau règlement qui doit être encore formellement approuvé était « d’une importance cruciale » dans la lutte contre le changement climatique estime l’entourage d’Agnès Pannier-Runacher.

Renforcement de la surveillance et des contrôles

Dans son dernier rapport, l’AIE estime que les émissions totales de méthane provenant du secteur de l’énergie « sont supérieures d’environ 70 % aux quantités officiellement déclarées par les gouvernements nationaux », soulignant « l’urgence à agir » et la « nécessité de politiques publiques ambitieuses et coordonnées ». L’Union européenne a élaboré un dispositif plus strict de surveillance et d’obligation de contrôles avec des temporalités plus courtes. Ce règlement va par exemple imposer aux exploitants de faire « régulièrement » rapport aux autorités compétentes sur la quantification et la mesure des émissions de méthane au niveau de la source, y compris pour les actifs non exploités. Il va également obliger les compagnies pétrolières et gazières à effectuer des contrôles réguliers sur leurs équipements afin de détecter et de réparer les fuites de méthane sur le territoire de l’Union. Les campagnes de détection et de réparation des fuites devront être réalisées « très régulièrement », tous les deux à quatre mois pour les composants aériens et tous les cinq mois pour les composants souterrains. Les procédés de mise à l’évent et de torchage sont considérablement « restreints » : la mise à l’évent n’étant autorisée qu’en cas d’impossibilité d’opérer un brûlage et le brûlage n’étant autorisé que s’il est impossible de réinjecter le gaz dans le réseau.

Une veille des émissions élargie au monde entier

« L’Europe importe plus de 80 % des combustibles fossiles qu’elle brûle, il est essentiel d’étendre le champ d’application aux importations énergétiques » estimait le Parlement européen en mai. Un avis partagé pleinement par Paris qui estime « avoir fortement poussé pour que ce volet importation voit le jour ». D’autres pays, notamment en Europe de l’Est dont le mix énergétique est moins diversifié, ont fait part de leurs réticences. Le règlement met à disposition des États des outils de surveillance à l’échelle mondiale pour renforcer la transparence des émissions de méthane importées. Il va par exemple établir une base de données sur la transparence en matière de méthane dans laquelle les données communiquées par les importateurs et les opérateurs de l’UE seront mises à la disposition du public dans la lignée de la création, il y a un an, de l’Observatoire international des émissions de méthane (Imeo). L’UE mettra également en place à partir du 1er janvier 2027 un outil mondial de surveillance des émetteurs de méthane (via notamment des satellites privés et un partenariat avec le programme Copernicus) et un mécanisme d’alerte rapide pour les événements super émetteurs« avec des informations sur l’ampleur, la récurrence et la localisation des sources à forte émission de méthane, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’UE » précise la Commission. En 2021, selon l’AIE, des émissions importantes ont été confirmées au Texas et dans certaines régions d’Asie centrale, le Turkménistan étant à lui seul responsable d’un tiers des émissions importantes observées par les satellites en 2021. En 2022, plus de 500 événements de super émission ont été détectés par les satellites dans le cadre d’opérations pétrolières et gazières, et 100 autres ont été observés dans des mines de charbon. Le règlement exigera également, à compter de janvier 2027, que l’ensemble des nouveaux contrats d’importation de pétrole, de gaz et de charbon ne soient effectifs que si les exportateurs respectent les mêmes règles que les producteurs européens. Le règlement définira « également une méthode de mesure de l’intensité en méthane et fixera des niveaux maximaux à respecter pour les nouveaux contrats de pétrole, de gaz et de charbon » indique la Commission.

135 millions de tonnes de méthane émises en 2022

Les exploitations de combustibles fossiles ont émis près de 135 millions de tonnes de méthane dans le monde en 2022 (contre 120 en 2021), soit près d’un tiers de toutes les émissions de méthane dues à l’activité humaine. Dans l’UE, le secteur de l’énergie représente 19 % des émissions anthropiques de méthane (hors importations), soit plus de 4 millions de tonnes émises contre 40 % au niveau mondial et présente « le plus grand potentiel de réduction rapide, efficiente et efficace des émissions » estimait l’année dernière la Commission. Un avis également partagé par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), qui soulignait dans son étude annuelle sur les émissions de méthane publiée récemment que plus de 75 % des émissions liées aux énergies fossiles sont évitables avec la technologie disponible, principalement à l’aide de méthodes facilement déployables, peu coûteuses ou rémunératrices dans 85 % des cas. En France, les émissions de méthane liées à l’activité humaine ont représenté, selon l’AIE, 2 429 kt soit 0,7 % des émissions mondiales de méthane. Le secteur de l’énergie représentait 194 kilo tonnes.

Après avoir été formellement adoptée par le Parlement européen et le Conseil, la nouvelle législation devrait entrer en vigueur d’ici la fin de l’année.