La filière des gaz renouvelables demande « visibilité » et « stabilité »

Les nouvelles voies de production de gaz renouvelables apparaissent "comme le complément incontournable" à l’atteinte des objectifs de la prochaine Stratégie Française pour l’Énergie Climat (SFEC) a rappelé ce 23 avril les acteurs de la filière des gaz renouvelables.

Publié le 23/04/2024

7 min

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Ce 23 avril, la filière des gaz renouvelables est revenue sur la dynamique et le potentiel de la filière en France et en Europe. Une dynamique qui doit être davantage « soutenue » selon eux et qui vise à inscrire politiquement et durablement les gaz renouvelables dans le paysage énergétique français. 

Par Laura Icart  

 

« Il  n’y a pas que les électrons dans la vie , il y a aussi les molécules » a déclaré le président du Syndicat des énergies renouvelables (SER), Jules Nyssen, alors que plusieurs acteurs de la filière des gaz renouvelables, les gestionnaires des réseaux de distribution (GRDF) et de transport (GRTgaz et Teréga), le SER et l’association Gaz et territoires étaient réunis ce matin pour présenter le panorama des gaz renouvelables pour l’année 2023. Une année qui a vu l’objectif de 6 TWh injectés fixé dans la précédente programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) largement dépassé : plus de 9 TWh ont été injectés dans les réseaux gaziers l’année dernière. Une dynamique qui semble redémarrer suite aux évolutions réglementaires et législatives prises en 2023. Seulement pour tenir les objectifs (50 TWh) fixés par la stratégie française pour l’énergie et le climat (SFEC) et aller au-delà – la filière estime qu’elle a le potentiel d’atteindre 70 TWh (dont 10 en cogénération) -, les acteurs réclament du « pragmatisme », un cadre stable et un niveau de soutien en adéquation avec le potentiel de  l’ensemble des technologies de production de gaz renouvelables : la méthanisation bien sûr, mais aussi la pyrogazéification, la gazéification hydrothermale, « largement oubliées » dans les objectifs de la SFEC, quand la méthanation « filière essentielle au couplage des systèmes énergétiques électriques et gaziers » rappellent les acteurs, n’est même pas évoquée. 

« Le couteau suisse » de la transition énergétique

Donner de l’élan à la filière des gaz renouvelables, c’est aussi « reconnaître l’ensemble des services systémiques qu’elle rend aux territoires ». Tout à la fois source d’énergie pour produire de la chaleur, de l’électricité mais aussi du carburant et des fertilisant organiques, la filière des gaz renouvelables, rappellent les acteurs présents ce matin, est « le couteau suisse de la transition énergétique comme on l’évoque souvent entre nous » souligne Jules Nyssen. Elle a besoin « d’un portage politique fort », alors même qu’il n’y aura pas a priori, sauf vent contraire, un texte énergétique programmatique discuté au Parlement. La filière des gaz renouvelables est principalement portée aujourd’hui par la filière méthanisation qui s’est installée dans le paysage énergétique français avec plus de 1 900 installations en service, dont 660 injectent dans les réseaux gaziers. « Nous avons aujourd’hui une capacité installée équivalente à la production de deux centrales nucléaires [12 TWh par an, NDLR] » rappelle la directrice générale de GRDF Laurence Poirier-Dietz, 10 ans après l’injection des premières molécules dans les réseaux, mais « nous avons le potentiel d’aller beaucoup plus loin » souligne-t-elle, estimant qu’un objectif de 60 TWh de gaz renouvelables injectés, soit 20 % de la consommation française de gaz, était « raisonnable » et « atteignable » en 2030, « s’il y a une volonté politique et une visibilité réglementaire ». « Il faut davantage de simplification » pour les porteurs de projets souligne le président de la commission des gaz renouvelables du SER, Frédéric Terrisse. « Nous sommes dans un maquis de normes », parfois en dépit même du bon sens rappelait en février l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France appelant à un choc de simplification. La filière méthanisation demande, par exemple, la possibilité pour les sites existants, après avoir obtenu l’année dernière une revalorisation du tarif d’achat du biométhane injecté, de pouvoir augmenter la capacité maximale (Cmax) de leur installation. En d’autres termes de « débrider le système quand les producteurs en ont la capacité » souligne la directrice générale de GRDF qui évalue « à 3 TWh le potentiel de production disponible en deux à trois mois ».

Urgence pour les CPB

Autre sujet brûlant pour la filière, la publication du très attendu décret fixant la trajectoire de production des certificats de production de biogaz (CPB). Celle-ci serait prévue à l’été avait fait savoir début avril les services de l’État aux représentant de la filière. « Un levier indispensable » estime Frédéric Terrisse pour maximiser la production, notamment pour les installations ayant une capacité supérieure à 25 gigawattheures par an qui ne bénéficieront plus d’appel d’offres à la fin de l’année. « Sans les CPB, ces installations ne bénéficieront plus d’aucun mécanisme de financement pérenne » précise Frédéric Terrisse. Si en France les projets supérieurs à 30 GWh par an sont ultra-minoritaires, de l’ordre de 14 % des inscrits dans le registre de capacité, l’apport de ces installations sera indispensable à l’atteinte des objectifs affichés pour 2030. Une filière française de la méthanisation « considérée en Europe comme un modèle » souligne Laurence Poirier-Dietz, évoquant notamment le cadre tarifaire, le droit à l’injection et un écosystème gazier particulièrement innovant. L’Europe où le cadre réglementaire et tarifaire autour des gaz renouvelables « se précise » estime Marie-Claire Aoun, directrice des affaires publiques de Teréga, évoquant une volonté de valoriser la flexibilité apportée par les gaz renouvelables alors qu’une récente étude de l’Association européenne du biogaz estime qu’en 2040, l’Europe pourrait produire 111 milliards de m3 de biométhane (1 040 TWh), dont 101 milliards de m3 pour les pays membres de l’Union européenne.

La pyrogazéification sort du bois

Si la méthanisation est et sera de longues années encore, en France comme en Europe, la principale voie de production des gaz renouvelables, les autres filières ont également « besoin d’une impulsion politique et d’être reconnues » indique Sandrine Meunier, directrice générale de GRTgaz. Notamment la filière pyrogazéificiation en voie d’industrialisation, alors que les premières projections de la SFEC pour 2030 ne tiennent pas compte du potentiel de cette technologie pourtant reconnue dans de nombreux scénarios, dont ceux de l’Ademe. La filière estime qu’un potentiel de 6 TWh pourrait être effectif dès 2030, se basant sur l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) lancé en 2022 par le CSF « nouveaux systèmes énergétiques » qui avait recensé 49 projets répartis sur toute la France métropolitaine, dont 19 en phase d’étude, soit un gisement de 4,1 TWh permettant au passage la valorisation de 1,3 million de tonnes de déchets. La filière est toujours en attente d’un appel d’offres dédié à la pyrogazéfication annoncé au printemps 2023 qui permettrait de soutenir les premières unités commerciales et demande à ce qu’une large typologie d’intrants puissent être intégrée. « C’est une solution locale de valorisation des déchets, de plus en plus de collectivités sont intéressées » assure Sandrine Meunier.

Sur l’épineuse question de la biomasse, les acteurs de la filière se veulent rassurants et pragmatiques. Ils évoquent « une typologie de biomasse différente » pour chaque technologie limitant la « pression exercée par chacune d’elle », et indiquent qu’il faut d’ici 2035, soit l’échéance de la prochaine PPE, laisser à l’ensemble des solutions permettant la décarbonation de notre mix énergétique le temps de se développer, au risque sinon « de tuer des filières » avant même qu’elles aient pu montrer leur potentiel.