Le Sénat propose une baisse « ciblée » de la fiscalité énergétique

La commission d’enquête estime que le scenario le plus raisonnable et plausible est celui d’un niveau de consommation électrique entre 580 et 615 TWh à l’horizon 2035 et environ 700 TWh à l’horizon 2050. ©Shutterstock

Publié le 04/07/2024

7 min

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Six mois après le lancement de leurs travaux, la commission d’enquête du Sénat sur l’électricité a remis son rapport ce matin. Pour faire baisser le prix de l’électricité et assurer sa stabilité dans le temps, les sénateurs proposent notamment « une baisse ciblée de la fiscalité », une prolongation « optimisée » du parc nucléaire et de transformer l’accord passé entre l’État et EDF en novembre dernier par un contrat pour différence (CFD) à prix fixe.

Par Laura Icart, avec AFP

 

L’énergie est un produit de « première nécessité » et « un facteur de compétitivité » ont souligné Franck Montaugé (groupe socialiste, écologiste et républicain) et Vincent Delahaye (Union centriste), respectivement président et rapporteur de cette commission d’enquête transpartisane qui vient de clore se travaux après six mois d’auditions et plus de 140 personnes entendues. « Il en ressort 33 propositions concrètes pour le pouvoir d’achat des Français » précise le rapporteur. Le pouvoir d’achat et la facture énergétique, des sujets au cœur du débat public depuis plusieurs semaines, puisque le pouvoir d’achat a été le premier motif de vote des Français (53 %) dimanche dernier selon un sondage réalisé par l’institut Toluna Harris Interactive pour Challenges, M6 et RTL.

Réduire la facture via trois leviers fiscaux

La baisse du prix de l’électricité doit passer par « une baisse ciblée » de la fiscalité, estime un rapport spécial du Sénat, relevant qu’ « une baisse générale et indifférenciée de la TVA serait très coûteuse pour (les) finances publiques et particulièrement injuste », faisant clairement référence à la proposition du RN qui promet de réduire la TVA sur les énergies à 5,5 % de manière indifférenciée. Pour baisser la facture des Français, la commission d’enquête sénatoriale sur l’électricité prône notamment une réduction fiscale via trois taxes, mais seulement pour un volume limité d’électricité consommée, en l’occurrence la « consommation de base » des ménages. La réduction proposée concernerait la « consommation de base » d’un ménage, soit 4,5 mégawattheures par an s’il n’y a pas chauffage électrique et 6 MWh par an avec chauffage électrique. Sous ce volume, la TVA serait abaissée de 20 à 5,5 %, l’accise sur l’électricité passerait de 21 euros actuellement à 9,5 euros le MWh et la contribution d’acheminement (CTA) serait supprimée. Cette mesure coûterait 3,5 milliards d’euros annuels, selon le sénateur centriste Vincent Delahaye – contre 12 milliards pour une baisse générale, estime Bercy. « L’idée est de baisser de façon ciblée et non générale car cela peut coûter très cher, et ce n’est pas juste », souligne Vincent Delahaye dans une référence à peine voilée au coût du bouclier tarifaire mis en place par le gouvernement. « Tout le monde en bénéficie, sur un certain volume, qu’on pourrait appeler la consommation de première nécessité, pour éclairer, cuisiner… Après, si vous avez une piscine chauffée ou autre, là on ne vous aide pas particulièrement. »  Ces propositions entraîneraient à elles seules « une baisse de 18 % du prix » indique le rapport.

Le retour des CFD 

Autre levier pour réduire la facture énergétique des Français de 40 % ( incluant les – 18 % de la fiscalité) : la remise en cause de la pertinence de l’accord entre  l’État et EDF conclu en novembre dernier qui « ne garantit ni des prix acceptables pour les consommateurs ni des revenus suffisants pour EDF » selon les deux sénateurs. Les discussion entre l’État et EDF ont été trop « opaques » ajoute le sénateur de l’Essonne. Un manque de « transparence » qui a abouti à un accord « très flou dans son application et dans sa protection ». En remplacement, la commission d’enquête propose d’utiliser le dispositif du contrat pour différence (CFD) fixé entre 60 et 65 euros le MWh« pour éviter les variations erratiques de prix ». Une option qui avait été écartée par Bercy lors de l’accord avec EDF en fin d’année car jugée « trop coûteuse pour l’État », préférant s’appuyer sur la promesse d’un prix moyen de 70 euros le MWh pour la production d’électricité d’origine nucléaire via des contractualisations de moyen et long terme et un mécanisme de captation des revenus. Une substitution qui permettrait une économie de « 22 % supplémentaire » selon les sénateurs, soit une économie de « près de 40 %  [consommation moyenne, NDLR] sur les factures des Français dès le début de l’année 2025″, évoquant par exemple « une économie de plus de 600 euros sur la facture annuelle d’un ménage qui consomme en moyenne 6 MWh par an » et « de près de 7 000 euros sur celle d’un boulanger qui consomme en moyenne 99 MWh par an ».

Le nucléaire, l’alpha et l’oméga

Pour les sénateurs, c’est avant tout sur le nucléaire et l’optimisation de son parc sur lesquels la France doit miser pour tenir ses objectifs de décarbonation mais aussi de compétitivité dans les années à venir, appelant même à « un essor raisonnable » des moyens de production renouvelables et à être vigilants sur les coûts du système électrique quand ceux-ci comportent « une part significative d’éolien et de photovoltaïque ». La filière nucléaire exigera dans les années à venir des « investissements massifs » et « un besoin en compétences énormes » précisent-ils. « C’est un défi majeur » ajoute Vincent Delahaye, évoquant la probabilité d’un premier EPR 2 autour de « 2037-2038 » alors que 14 nouveaux réacteurs EPR2 ont été annoncés par le gouvernement en 2050 et même 20 par le Rassemblement national, bien qu’à ce jour aucune étude de faisabilité d’un tel chantier n’ait été lancée. Et si la question du bouclage électrique risque de se poser bien avant 2050, les sénateurs estiment « selon des scénarios étudiés par la commission d’enquête » que le mix de production national produirait « entre 700 et 850 TWh en 2050 » avec une part du nucléaire comprise entre 52 à 61 % du mix. Autre requête : mettre fin à « la discrimination de l’énergie nucléaire au sein de l’Union européenne » estimant inégalitaire les efforts demandés à la France qui possède l’un des mix électriques les plus décarbonées d’Europe. Une requête qui avait été largement portée à Bruxelles par l’ancienne ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher et qui devrait d’ailleurs aboutir dans les prochaines semaines à une directive bas carbone à horizon 2040.

Autre grand regret pour la commission d’enquête : aucun texte programmatique d’application « n’a abouti » souligne son président, sénateur du Gers, Franck Montaugé. « Nous n’avons ni PPE, ni SFEC, ni PNACC, soit aucune visibilité pour industriels, les entreprises, les Français » et « la représentation nationale n’a pas pu débattre », évoquant l’échec d’une loi programmatique sur l’énergie pourtant promise au Parlement. Un cadre qui aurait permis selon lui, « même s’il aurait pu être remis en cause », de donner de la visibilité aux acteurs, dans un secteur où prévaut le temps long.