Territoires ruraux : les défis d’une transition énergétique juste

La majorité des communes rurales françaises ne sont pas raccordées à un réseau de gaz naturel ou de chaleur et ont de spécificités qui rendent plus complexes leur décarbonation. ©Shutterstock

Publié le 15/12/2024

7 min

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Les territoires ruraux sont appelés à jouer un rôle de premier plan pour mettre en œuvre la transition écologique à l’échelle locale. En France, plus de 30 000 communes appartiennent à la ruralité, représentant un tiers de la population française. Des zones de vie aux besoins spécifiques qui auront besoin « d’une pluralité de solutions énergétiques » pour réussir la transition « en ne laissant personne sur le bord du chemin ». C’est le principal message de l’après-midi d’échanges organisée le 12 décembre par le Parlement rural et l’association France gaz liquides.

Par Laura Icart

 

« Nous avons besoin de toutes les solutions disponibles en milieu rural : l’électricité, la géothermie, la chaleur renouvelable, le biogaz, le bioproprane, le biobutane, plaide Bernard Delcros, sénateur du Cantal et président du Parlement rural, le seul moyen d’accompagner l’ensemble des Français dans la transition. » « Les spécificités de la ruralité doivent être reconnues » ajoute Julie Fazio, présidente de France gaz liquides, alors que 33 % des Français vivent en zone rurale et que 72 % d’entre eux ont recours aux gaz liquides.

Un mix énergétique dominé par les énergies fossiles

En 2023, l’étude « L’énergie dans la ruralité » réalisée par les Mines Paris s’intéresse spécifiquement aux plus de 24 000 communes non raccordées au réseau de gaz naturel et donne non seulement une visualisation du mix énergétique mais permet aussi de caractériser la typologie du parc immobilier résidentiel (habitation, type de chauffage, passoires énergétique) et une projection de la hausse de la consommation et de la pointe électrique dans le cadre d’un scénario où l’ensemble des chaudières fonctionnant au combustible fossile serait remplacées par des pompes à chaleur. « De par leurs modes de vie et de déplacements, les habitants des zones rurales font effectivement face à des spécificités dans l’accès à l’énergie et le coût qu’elle représente. C’est notamment vrai pour le type d’habitat – la maison individuelle domine -, mais aussi pour la mobilité » nous expliquait Claire Delfosse, géographe ruraliste, professeure à l’université Lumière-Lyon II, en début d’année. Les zones rurales représentent environ un tiers des logements de France, soit 12 millions de logements avec près de 93 % de maisons individuelles, souvent très énergivores (superficies élevées et bâti ancien) et dominées par un énergétique essentiellement fossile. L’étude montre « qu’il y a une diversité de situations très grandes dans les communes rurales et que donc on ne peut pas appliquer la même solution à tout le monde, comme par exemple la pompe à chaleur » souligne Yassine Abdelouadoud, chercheur à l’Institut des Mines Paris-PSL et auteur de l’étude. « Pour réussir cette transition, il faut conserver une pluralité de vecteurs énergétiques tout en les décarbonant » précise-t-il, alors que le fioul représente toujours 20 % du mix énergétique en milieu rural, contre seulement 6 % dans les zones urbaines. Sur près de 15 000 communes non connectées aux réseaux (gaz ou chaleur), « le nombre de logements chauffés au fioul et au propane est supérieur ou égal aux habitations ayant recours à l’électricité pour le chauffage » indique l’étude. C’est aussi une population qui, par la caractéristique de son habitat, est plus exposée que celle des zones urbaines à la précarité énergétique : 35 % des ménages situés en zone rurale sont touchés par la précarité énergétique. Près de 1,7 million de maisons seraient considérées comme des passoires énergétiques sur les plus de 7 millions de logements étiquetés F et G dans notre pays, dont 5 millions de résidences principales. Pour ces foyers, le surcoût moyen des dépenses affectées à l’énergie est de 20 % pour le chauffage et 40 % pour la mobilité par rapport à la moyenne nationale, détaille l’étude des Mines Paris. 

Une politique spécifique pour ne pas créer de « fractures »

« Pour réussir la transition énergétique, il ne faut pas créer de fractures entre les territoires, entre les Français » soulignait le 10 décembre, lors du colloque de l’Union française de l’électricité, Fanny Lacroix, vice-président de l’Association des maires ruraux de France en charge de la transition écologique. « La transition doit permettre aux communes rurales d’agir, malgré leur faible dotation en ingénierie et en moyens. Une transition juste, c’est une transition qui implique nos citoyens, qui se fait avec plus de cohésion nationale, de pacte républicain. » « Il faut tenir compte de la réalité sur le terrain, nous n’avons pas les moyens financiers pour effectuer tous les renforcements dont le réseau électrique a besoin pour s’adapter à la massification des pompes à chaleur ou des voitures électriques » indique Philippe Auvray, vice-président de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). « S’adapter aux spécificités du monde rural, c’est conserver un mix énergétique diversifié dans nos campagne » ajoute celui qui est aussi président du syndicat d’énergie de la Côte-d’Or. « Il faut penser au pouvoir d’achats des Français » plaide Bernard Delcros, alors que l’énergie est devenue le deuxième poste de dépenses des Français après le logement. Près de 72 % des 20 millions Français vivant en zone rurale ont recours aux gaz liquides, près de 30 % (avec le fioul) pour un usage chauffage, plus de 50 % pour la cuisson et près de 24 % pour la boucle à eau chaude.

Objectif : 10 % de biopropane en 2033

En France comme en Europe, reconnaître les gaz liquides, « c’est aussi donner la possibilité à des millions de foyers ruraux non connectés au réseau d’avoir accès à une énergie fiable et abordable » indiquait en avril à Gaz d’aujourd’hui, Audrey Galland, directrice générale de France gaz liquides évoquant l’importance d’un soutien fort des pouvoirs publics pour impulser une dynamique, notamment en prenant en compte le biopropane dans les dispositifs d’aide au développement des énergies renouvelables. « Notre filière aura un rôle important à jouer dans la décarbonation de la ruralité » souligne Julie Fazio. En effet, la filière des gaz liquides s’est fixé comme objectif d’intégrer 10 % de biopropane en 2033. Un objectif atteignable selon elle, alors que le biopropane est « coproduit systématiquement par les bioraffineries ». Les volumes de biopropane aujourd’hui disponibles en Europe sont de l’ordre de 250 000 tonnes et « devraient s’élever à 650 000 tonnes en 2030 avec l’augmentation des capacités de production de biocarburants » indique France gaz liquides. La production française provient à ce jour des bioraffineries, aujourd’hui celle de La Mède et prochainement GrandPuits. Si les biogaz liquides n’ont actuellement aucun objectif chiffré dans la  nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie dont la consultation se termine mercredi, les besoins spécifiques auxquels ils répondent dans la ruralité y sont mentionnés. Pas suffisant pour la filière qui rappelle que les gaz liquides contribuent « au maintien d’une offre énergétique inclusive » sur les territoires ruraux, périurbains et montagneux, et que les biogaz liquides permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 73 % par rapport au propane et de 77 % par rapport au fioul.