« Conjuguer souveraineté, compétitivité et décarbonation, ce sont mes priorités »

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Publié le 17/01/2025

8 min

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Pour réussir la décarbonation de notre économie, l’industrie et l’énergie sont des « secteurs centraux et étroitement liés » souligne le ministre de l’Industrie et de l’énergie Marc Ferracci, lors d’un échange ce matin avec l’Association des journalistes de l’énergie (AJDE). Le ministre évoque également l’importance d’une réflexion globale autour d’une politique de l’offre combinée à celle des usages, « une brique essentielle » selon lui pour « consolider notamment l’électrification des usages ». Post-Arenh, électrification des usages, hydrogène, renouvelables, budget, PPE, loi programmatique… Point sur les dossiers brûlants en cours et à venir. 

Par Laura Icart 

 

« Notre boussole c’est le discours de Belfort [du président de la République], souligne Marc Ferracci, notre stratégie s’appuie sur les énergies renouvelables et le nucléaire combinés à de l’efficacité énergétique et de la sobriété. » Dans les années qui viennent et compte tenu du « temps qu’il faudra pour lancer le nouveau nucléaire », les énergies renouvelables « seront indispensables pour assurer notre souveraineté ». Le ministre estime que l’action gouvernementale doit se concentrer sur trois piliers : faire progresser la production, la distribution – avec un point d’attention sur le raccordement des réseaux électriques – et la demande. « Faire émerger et consolider des filières énergétiques qui créent de l’emploi en France, c’est une priorité » souligne également le ministre qui estime que « la souveraineté énergétique est conditionnée par la souveraineté industrielle ».

Souveraineté, compétitivité et décarbonation en fil rouge

Marc Ferracci revient sur les grands objectifs à atteindre pour notre pays : un objectif de souveraineté qui passe par « de la neutralité technologique » et « la défossilisation de nos modes de productions et de nos usages [60 % de notre mix énergétique est d’origine fossile et importé, NDLR] » ; un objectif de compétitivité « qui passe par une maîtrise de nos coûts de production. Le coût d’énergie est devenu une dimension cruciale de la compétition internationale, notamment dans ce qu’on appelle les industries de base, c’est-à-dire la chimie, la sidérurgie, l’acier et d’autres filières, qui sont très consommatrices d’électricité » ; et enfin un objectif de décarbonation lié aux engagements européens et internationaux et au contexte climatique qui a vu le monde dépasser le cap des 1,5 degré de réchauffement en 2024. « Nous avons besoin d’amplifier, de consolider la trajectoire de décarbonation en se concentrant sur les dimensions sectorielles de la décarbonation. » Marc Ferracci évoque également la continuité avec ses prédécesseurs à ce portefeuille et une volonté d’apporter des réponses concrètes et cohérentes aux industriels pour la question du prix mais « pas seulement » indique le ministre qui parle de « la question des réseaux » et plus particulièrement « la capacité des réseaux électriques à opérer des raccordements rapides », évoquant sans les citer des projets ralentis ou n’ayant pas pu voir le jour suite à « des délais de raccordements trop longs ».

Vers le retour d’une loi programmatique à l’Assemblée ?

Si le ministre de l’Industrie et de l’énergie ne s’est pas prononcé stricto sensu sur la possibilité d’un débat législatif autour d’une loi programmatique comme prévu dans la loi climat et résilience de 2019 et réclamé par un grand nombre de parlementaires tout groupe confondu, il s’y est plutôt montré favorable, évoquant la proposition de loi au Sénat portée par le sénateur Les Républicains Daniel Gremillet et le travail « de co-construction qui avait été mené avec la ministre Olga Givernet. C’est une option qui reste ouverte » a-t-il indiqué aux journalistes de l’AJDE. Difficile en tout cas, au vu d’un calendrier législatif particulièrement chargé et d’un temps politique incertain, de savoir si le gouvernement fera le choix d’inscrire ce projet de loi à l’Assemblée nationale. Il apparaît en tout cas peu probable, vu l’importance du sujet et des sensibilités politiques, qu’il soit inscrit dans le cadre d’une niche parlementaire. Au-delà du cadre législatif, Marc Ferracci a indiqué que le travail de réflexion et de modifications du projet de PPE suite à la phase de consultation « avait débuté ». 

Donner de la visibilité aux industriels

La compétitivité de nos industries « suppose de fournir à nos industriels de l’énergie, notamment de l’électricité, sur le long terme et à des prix compétitifs » indique Marc Ferracci alors que l’Arenh prendra fin au 1er janvier 2026 et que pour l’instant aucun accord satisfaisant n’a été trouvé entre EDF, l’État et les industriels. Mais le ministre insiste sur ce point : l’État « n’intervient pas » dans la négociation entre EDF et les industriels électro-intensifs. Revenant sur une négociation qui patine depuis plus d’un an mais « d’une grande complexité, loin d’une négociation commerciale classique », Marc Ferracci évoque désormais un volume à sécuriser soit en contrats signés, soit en lettre d’intentions « de l’ordre de 40 TWh ».

« Une France sans budget, c’est une France sans visibilité. »

 

Une stratégie hydrogène révisée « dans les prochains jours »

« La censure a pénalisé des projets, estime Marc Ferracci, une France sans budget, c’est une France sans visibilité », alors que la filière hydrogène dénonçait début décembre une année blanche et que de nombreux acteurs du secteur parlent de 2024 comme une année « morose ». Le gouvernement reste pleinement « mobilisé sur la question de l’hydrogène », rappelle le ministre qui croit « toujours au potentiel de l’hydrogène à la fois vecteur de décarbonation de l’industrie, de la mobilité mais aussi de réindustrialisation des territoires » évoquant une stratégie révisée « annoncée dans les prochains jours » qui permettra de « préciser les usages prioritaires » mais aussi ceux « qui ont une capacité à trouver un modèle économique ». Après trois années d’euphorie suite à la publication de la stratégie nationale hydrogène en 2020, la filière connaît sa première baisse de régime avec des investissements qui tardent à être annoncés et un cadre réglementaire qui avance doucement. Et si l’annonce de la première tranche du mécanisme de soutien à la production est une bonne nouvelle, reste à savoir quelle enveloppe lui sera attribuée dans la nouvelle discussion budgétaire ? En effet, les sénateurs avaient retiré près de 400 millions d’euros  sur l’enveloppe destinée à alimenter ce mécanisme dans la discussion budgétaire en novembre.

La France veut une politique européenne « offensive et moins naïve » 

« Être plus offensif et moins naïf », c’est le souhait du ministre de l’Industrie qui espère que les préconisations du rapport Draghi pourront rapidement être mises en place à Bruxelles pour « créer les conditions d’une croissance des investissements dans les filières en transition ». La France a produit quatre notes interministérielles transmises à la Commission, indique Marc Ferracci :sur la politique industrielle globale, sur l’acier, l’automobile et la chimie. Pour développer notre offre énergétique, il faut « mutualiser un certain nombre d’investissements, approfondir et finaliser le marché européen des capitaux ». Le ministre indique que l’un des premiers problèmes des industriels « est l’accès aux financements. Mais nous devons continuer d’investir avec un principe de neutralité technologique », alors que le débat fait rage en Europe autour du financement des technologies nucléaires dans les « cleantechs ». De nombreux chantiers importants sont en cours, notamment la mise en place de l’ETS2 (échanges d’émissions de quotas) ou du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Le ministre évoque de « nombreuses propositions et discussions avec la Commission » mais réaffirme que seule « une politique industrielle offensive, de soutien aux filières, de soutien à la demande » permettra à l’Union européenne d’atteindre son objectif de 90 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre en 2040.

« La transition écologique est une formidable opportunité de reconquête industrielle » souligne Marc Ferracci en évoquant le baromètre de réindustrialisation de l’État. Si la France connaît un léger ralentissement dans sa dynamique de réindustrialisation au premier semestre, d’un point de vue sectoriel, les industries vertes et l’économie circulaire, qui comprennent l’ensemble des industries du recyclage, des batteries, de l’hydrogène, des renouvelables (éolien, biogaz, solaire…) représentent quasiment la moitié des ouvertures nettes au cours du premier semestre.