Programmation pluriannuelle de l’énergie : un exercice à risques

Publié le 19/02/2019

5 min

Publié le 19/02/2019

Temps de lecture : 5 min 5 min

Jérôme Ferrier ( Synopia)

 

Jérôme Ferrier, ancien président de l’Association française du gaz (AFG), syndicat professionnel de l’industrie du gaz naturel, du biométhane et des GPL, est membre du comité d’orientation du think tank Synopia. Ingénieur de formation, il a plus de trente ans d’expérience dans le domaine du gaz naturel, de la production au marketing, notamment en Afrique, en Europe et en Amérique latine. Il revient sur les principaux enseignements de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).

La crise « des gilets jaunes » montre que la transition écologique n’est pas une priorité pour nos concitoyens et apparaît même en contradiction avec les demandes de hausse du pouvoir d’achat, de baisse des taxes et d’accès pour tous à l’énergie. Dans ce contexte, la publication le 25 janvier 2019 de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) par le ministère de la Transition écologique et solidaire relevait du défi.

 

La neutralité carbone en 2050 : difficilement atteignable

La PPE est assise sur une ambition politique forte qui soulève des interrogations, en particulier sur les moyens nécessaires pour y parvenir.

  • La décarbonation totale du secteur de l’énergie en 2050 consiste à remplacer toutes les énergies fossiles par des énergies n’émettant pas de gaz à effet de serre, tout en réduisant à 50 %, dès 2035, la part du nucléaire dans la production d’électricité. En 2050, il n’y aurait donc plus que quatre sources d’énergie : la chaleur renouvelable (géothermie, solaire thermique, pompes à chaleur) ; la biomasse (bois, biocarburants, biogaz) ; l’électricité générée par les éoliennes ; et l’énergie de récupération non carbonée produite par des énergies non renouvelables ou nucléaire.

 

  • L’atteinte d’un tel objectif suppose déjà de parvenir aux objectifs intermédiaires fixés pour 2023, ce qui semble improbable.
  • Les hypothèses sur l’évolution des prix des énergies fossiles, en progression constante entre 2015 et 2030, sont fragiles, car si les consommations de l’une d’entre elles, comme le charbon, mais aussi le pétrole, étaient amenées à être réduites significativement, la baisse de la demande pourrait entraîner une baisse des prix et une possible reprise de la consommation sous l’effet de la concurrence.
  •  
  • Le potentiel du gaz n’est pas reconnu

  •  
  • Personne ne remet en cause la nécessaire baisse programmée du charbon, énergie la plus émettrice de pollutions atmosphériques. Elle est d’ores et déjà devenue marginale en France et ne représente plus que 110 TWh sur une consommation totale de 1 643 TWh, essentiellement dans l’industrie sidérurgique. L’arrêt programmé des centrales électriques au charbon en 2023 s’inscrit dans la bonne trajectoire. Par contre, la suppression totale du gaz naturel dans le mix énergétique en 2050, tout en encourageant d’ici là le basculement du charbon et du pétrole vers le gaz, est plus contestable. La baisse de 20 % en dix ans de la consommation primaire en gaz naturel sera certainement l’objectif le plus compliqué à atteindre. Il est regrettable que les qualités intrinsèques du gaz, avec l’absence de rejets d’oxydes de soufre et de particules préjudiciables à la santé publique, ne soient pas mis en évidence, et que le rapport se concentre sur les émissions qui impactent l’effet de serre et le réchauffement climatique.
  • En même temps, l’objectif de 10 % de gaz renouvelable à l’horizon 2030 (qui faisait partie des objectifs du plan climat 2016 de l’AFG) peut être lui encore atteint sous réserve de mobiliser tous les moyens, notamment les soutiens publics, pour faire aboutir les 400 projets existants.
  • Pour que la disparition des énergies fossiles à l’horizon 2050 soit envisageable, il faut que le développement des énergies renouvelables soit au rendez-vous. Cela passe par la chaleur renouvelable à partir de biomasse (+ 30 %), de la géothermie (+ 400 %) et du solaire thermique (+ 450 %).
  • La PPE prévoit de doubler le parc éolien constitué de 8 000 machines en triplant la capacité installée (de 11,7 GW à 35,6 GW) et de tripler la capacité de production photovoltaïque en six ans (de 7,6 GW à 20,2 GW). Ces taux de progression montrent l’ampleur de la tâche. La suppression des dispositifs de soutien pour les nouvelles installations de cogénération gaz et la décision de ne plus autoriser de nouvelles centrales de production exclusive d’électricité à partir d’énergies fossiles (et donc de gaz naturel) pourraient se révéler contre-productives alors que l’intermittence des productions renouvelables exige un secours que seules les centrales thermiques sont en mesure d’apporter.
  •  
  • La satisfaction des critères fixés par la PPE passe par l’atteinte simultanée de plusieurs objectifs : une diminution de l’énergie finale consommée, notamment en électricité (1 540 TWh en 2023, soit une baisse de 6,6 % par rapport à 2012, puis 1 420 TWh en 2028) ; une montée en puissance des énergies renouvelables, notamment l’éolien terrestre et maritime (doublement du parc) et le photovoltaïque (triplement des capacités), couvrant ainsi 32 % de la demande.
  •  
  • Le GNL carburant marin : le grand oublié

  • Enfin, le thème du gaz naturel liquéfié à usage de carburant marin (GNL maritime) n’est pas abordé, alors qu’il constituera un vecteur important de croissance dans les dix prochaines années, qu’il est encouragé par un développement dans tous les grands ports en 2023, qu’il contribuera significativement au verdissement de la flotte de navires et qu’il fait partie de la stratégie de développement de la mobilité propre.
  •  
  • La prévision est un exercice difficile, surtout sur le court terme. La première étape fixée pour 2023 permettra de tirer les leçons et devrait certainement amener à réviser certains objectifs.