Biométhane : le gouvernement ouvre une large concertation avec la filière

Publié le 06/11/2020

8 min

Publié le 06/11/2020

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Depuis plusieurs semaines, une série de projets réglementaires ont créé un vif émoi au sein de la filière du biométhane et engendré quelques remous du côté de l’exécutif. Depuis, de réunions informelles à une plus large concertation, le gouvernement partage sa copie et a mis tous les acteurs de la filière autour de la table. Au programme : la mise en place d’un mécanisme extra-budgétaire qui pourrait soutenir la production de biométhane sur nos territoires sans impacter les finances publiques.

Par Laura Icart

 

Dans un communiqué publié le 17 septembre, le ministère de la Transition écologique notait « un effort sans précédent de l’État en faveur des énergies renouvelables » et se félicitait de l’action gouvernementale en faveur du biogaz « qui a permis depuis trois ans de multiplier par quatre le nombre d’installations » et évoquait un soutien fort des pouvoirs publics, de l’ordre de 13 milliards d’euros. La ministre de la Transition écologique Barbara Pompili s’est d’ailleurs réjouie de cet essor lors de sa venue le 28 septembre au congrès du gaz de l’Association française du gaz (AFG). Il faut dire que la filière biométhane est particulièrement dynamique dans notre pays, portée en grande partie par le monde agricole où se trouve 90 % du gisement, mais plus largement par tout un écosystème dédié et innovant qui fleurit sur notre territoire, avec à la clé la production d’une énergie territorialisée et des emplois localisés.

Une rentrée sous tension 

Le 15 septembre, lors du conseil supérieur de l’énergie, les représentants de la filière gazière et bien plus largement des associations de consommateurs, de collectivités et des organisations non gouvernementales avaient fait part de leurs inquiétudes face aux nouvelles dispositions inscrites dans les projets d’arrêté et de décret sur le biométhane injecté.  Un changement en cours de route des règles du jeu, même si la trajectoire de réduction du tarif d’achat à hauteur de – 2 % par an était connue depuis la publication de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) en janvier dernier. Plusieurs nouvelles dispositions avaient mis vent debout la filière et particulièrement l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF). Elle a été la première à réagir en demandant notamment au gouvernement d’intégrer les représentants du monde agricole dans les cercles de décision et a fait part de sa grande inquiétude sur des projets de textes réglementaires qui, selon elle, pourraient en premier lieu pénaliser la méthanisation agricole. De nombreux élus ont également exprimé leurs voix pour demander au gouvernement de prendre en compte les inquiétudes de la filière. Dernièrement, la fin de l’exonération de la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN) attribuée au biométhane, souhaitée par le gouvernement et inscrite au projet de loi de finances 2020, a été adoptée en première lecture à l’Assemblée. Une adoption malgré la mobilisation de plusieurs parlementaires qui avaient déposé des amendements demandant son report, laissant planer pour la filière le risque de porter atteinte à la compétitivité des offres de biométhane.

Une volonté de dialogue manifeste

La production de biométhane pourrait dépasser dès l’année prochaine l’objectif fixé par la PPE en 2023, à savoir 6 TWh/an et entrainer un financement par l’Etat supérieur à celui acté dans la PPE.  Et si l’exécutif semble déterminé à tenir  les cordons de la bourse, c’est qu’il craint une bulle avec un grand nombre de projets déjà inscrits dans le registre des capacités. Cependant le gouvernement a tout de même affiché sa volonté de dialoguer avec les acteurs de la filière . En premier lieu, début octobre, en revenant sur certaines dispositions prévues dans les projets de décret et d’arrêté, comme l’allégement de la procédure administrative pour les porteurs de projets ou encore une baisse du tarif d’achat calculé sur un volume de contrat annualisé. Dans la foulée, le ministère de la Transition écologique s’est déclaré prêt à étudier et à dialoguer sur les mécanismes extra-budgétaires portés par la filière, à savoir le contrat pour différence (CFD) proposé par Engie et Méthaneuf créé il y un an par GRDF et qui fait actuellement l’objet d’une expérimentation dans les Deux-Sèvres. Début octobre toujours, le gouvernement a lancé un appel à projets (AAP) avec une enveloppe allouée de 20 millions d’euros visant « à faire émerger des solutions industrielles innovantes en matière de méthanisation afin de développer la compétitivité de la filière française » dans le cadre du programme d’investissements d’avenir (PIA). Du côté du raccordement, le projet de décret augmentant le plafond des coûts annuels de renforcement des réseaux de gaz naturel pour le raccordement d’installations de méthanisation, supportés par les tarifs d’utilisation des réseaux (de 0,4 % des recettes tarifaires annuelles des gestionnaires de réseaux à 2 %), devrait être entériné après avoir reçu un avis favorable du Conseil supérieur de l’énergie et de la Commission de régulation de l’énergie. Quant à l’article 28 du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (Asap) visant à augmenter à 60 % la part du prix de raccordement couverte par l’ATRD (accès des tiers au réseau de distribution de gaz naturel), contre 40 % actuellement, il a été adopté via la loi Asap le 28 octobre – même si celle-ci fait actuellement l’objet d’une saisine auprès du Conseil constitutionnel.

Plusieurs mécanismes de soutien à l’étude

Le gouvernement a souhaité réunir autour de la table l’ensemble des acteurs de la filière méthanisation. Une volonté de dialogue d’autant plus saluée par l’ensemble de la filière qu’elle regrettait depuis des mois ce manque de concertation avec l’exécutif. Pour atteindre l’objectif de 10 % de gaz vert dans les réseaux en 2030 comme le prévoit la Loi de Transition écologique pour une croissance verte, il faudra aller bien au delà des objectifs fixés dans la PPE. Ce 5 novembre, les services de l’État et la filière ont présenté chacun les dispositifs qu’ils ont imaginé pour soutenir la production sans impacter les deniers publics. Au total, trois mécanismes ont été présentés lors de cette réunion : les certificats verts par la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), le Contrat d’Ecart Compensatoire par Engie et une proposition « surprise » de mécanisme adossé au tarif d’acheminement par l’ANODE « dont les modalités se rapprocheraient davantage du mécanisme proposé par Engie» selon un participant à la réunion.  Le dispositif  présenté par Engie qui semble avoir les faveurs de la filière est un mécanisme dont le principe consiste à garantir au producteur de biométhane un revenu lui permettant de rentabiliser son investissement en signant un Contrat d’Ecart Compensatoire qui , comme le nom l’indique, va venir compenser les écarts entre le coût de production et le prix du gaz naturel sur les marchés. Un véhicule dédié serait créer pour porter ces contrats et en répercuter le coûts à l’ensemble des fournisseurs au prorata de leurs parts de marché. De son côté, la DGEC a présenté un mécanisme basé sur des certificats verts.Un mécanisme sui obligerait les fournisseurs de gaz naturel à détenir une quantité de certificats verts proportionnel au gaz naturel livré à des clients finaux soit en produisant directement du biométhane, soit en les achetant auprès des producteurs. Un dispositif qui devrait donc, selon la DGEC, apporter un revenu supplémentaire aux producteurs et qui sanctionnerait financièrement les fournisseurs ne répondant pas à leurs obligations. La proposition apportée par l’Anode est également à l’étude. Quant à la réflexion autour de Méthaneuf, elle se poursuit dans le cadre des travaux de la RE2020 pilotée par la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP).

À ce stade, la filière penche plutôt pour le contrat pour différence, qui apporte davantage de « visibilité et de stabilité des tarifs pour les producteurs à long terme » et sera « mieux compris par les acteurs car se rapprochant davantage du système actuel ».  Elle souhaite continuer à poursuivre ce dialogue constructif avec le gouvernement qui souhaite parvenir à un accord sur le mécanisme extra-budgétaire à mettre en œuvre d’ici la fin de l’année.

(c) Gregory Brandel, GRDF.