Décarboner la chaleur : du marathon au sprint

D'ici 2030,  la consommation de chaleur devra être réduite de 25% par rapport à 2021.(c)Shutterstock

Publié le 09/09/2024

8 min

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La décarbonation de la chaleur ne doit pas être « sacrifiée sous prétexte d’austérité budgétaire » a rappelé ce matin la Fédération professionnelle des entreprises de services pour l’énergie et l’environnement (Fedene) lors d’une rencontre avec l’Association des journalistes de l’énergie (AJDE), alors que plusieurs signaux négatifs ont été envoyés ces dernières semaines, en premier lieu duquel le possible rabotage du fonds chaleur. Pourtant le potentiel est « très important » rappelle la Fedene qui a réalisé un important travail de terrain depuis le début de l’année pour identifier les besoins en chaleur par usage et par région et qui estime que le moment est au contraire plus propice que jamais « pour accélérer la décarbonation de la chaleur ».

Par Laura Icart

 

Sur le terrain, il y a une « dynamique historique de projets  depuis trois ans » rappelle le président de la Fedene Pierre de Montlivault, qui n’a pas compris l’annonce fin août d’un projet gouvernemental prévoyant de raboter le fonds chaleur, alors même que le montant alloué pour 2024, soit 820 millions d’euros, ne couvre pas le nombre de projets déposés. La chaleur est « un sujet consensuel et transpartisan, rappelle-il, « il n’ y a pas de question d’acceptabilité, nous pouvons aller vite si on nous donne les moyens ». Pourtant, la chaleur est souvent « le parent pauvre de la transition énergétique » complète Marion Lettry, déléguée générale de la Fedene.

45 % de l’énergie consommée en France

Avec 45 % de la consommation d’énergie finale en France, la chaleur est le premier poste de consommation énergétique de notre pays. Une énergie finalement peu connue mais qui est plus médiatique depuis le début de la crise énergétique en 2022 et qui fait surtout plus écho auprès des industriels et des collectivités. Aujourd’hui, c’est principalement le secteur résidentiel qui consomme la chaleur (52 %), suivi par l’industrie et l’agriculture (29 %) et le tertiaire (19 %). En 2021, la chaleur renouvelable et de récupération représentait 27 % de l’énergie finale consommée en France contre 60 % de chaleur issue des énergies fossiles. Le gouvernement a annoncé dans la stratégie française pour l’énergie et le climat (SFEC) en novembre dernier vouloir doubler le rythme de déploiement de la chaleur renouvelable et de récupération, avec un objectif visé de près de 330 TWh en 2035, contre 182 TWh en 2021, et avec un palier de 288 TWh en 2030. Une ambition d’arriver à 52 % de chaleur EnR&R en 2030 qui est liée, rappelle la Fedene, à « une logique de sobriété » puisque d’ici 2030 la consommation de chaleur devra être divisée d’un quart. Pour y parvenir, « tous les leviers, comprenez toutes les filières devront être actionnés bien au-delà de la biomasse » souligne Pierre de Montlivault, évoquant le solaire thermique, les combustibles solides de récupération, la géothermie ou encore les gaz renouvelables.

Un rabotage des ambitions ?

La Fedene avait évalué à 1,3 milliard d’euros en 2024 le montant nécessaire pour financer l’ensemble du portefeuille de projets déposés. En 2023, le trou dans la raquette avait déjà été évalué à un peu plus de 200 millions d’euros et « avait laissé sur le carreau plusieurs grandes et moyennes villes françaises », tant dans la création de réseaux de chaleur que dans le verdissement ou l’extension de leurs réseaux. «Depuis 2022, on observe une multiplication par trois des demandes de raccordement pour les réseaux de chaleur » indique par exemple la Fedene. Une dynamique qui « relève du contexte  géopolitique mais aussi d’un retard français à rattraper en termes de développement des réseaux de chaleur » rappelle la fédération. Dans ces circonstances, l’annonce fin août d’un rabotage sérieux du budget  de l’ordre de 35 % de l’Ademe, gestionnaire du fonds chaleur et du fonds économie circulaire, selon la lettre plafond envoyée par Bercy au ministère de la Transition écologique, a refroidi sérieusement la Fedene, même si depuis l’organisation temporise. « Ces lettres élaborées uniquement par la direction du budget n’ont pas fait l’objet d’un travail concerté » souligne Pierre de Montlivault qui laissera vacant son fauteuil de président d’ici quelques semaines. « Elles font fi du potentiel de la filière et des objectifs fixés dans la SFEC. » En effet, pour respecter la trajectoire du fonds chaleur et celle des objectifs inscrits dans la SFEC, il faudra doter ce dernier de près de 3 milliards d’euros en 2030. En 2023, « plus de 1 400 nouvelles installations d’énergies renouvelables et de récupération ont été aidées par le fonds Chaleur » précisait en juillet l’Ademe pour « une production estimée de 2,82 TWh/an de chaleur renouvelable et de récupération. »  Pour 2025, l’Ademe a déjà identifié près de 1 milliard d’euros de nouveaux projets auxquels viennent s’ajouter 500 millions de projets déjà déposés que l’enveloppe de 2024 n’aura pas permis de financer. Au total pour couvrir la demande, ce sont 1,5 milliard d’euros de financements qui seraient nécessaires en 2025. Autant dire que même un statu quo sur la dotation du fonds chaleur serait déjà un « très mauvais signal pour la décarbonation » souligne la Fedene – ne parlons même pas d’un rabotage des ambitions.

Territorialiser le besoin en chaleur à 2030

Depuis le début de l’année, la Fedene, via le Club de la chaleur renouvelable, qui regroupe les principaux acteurs de la chaleur et du froid en France comme l’ATEE, le SER ou encore le CIBE, a collecté de nombreuses données via des ressources existantes pour permettre d’accompagner dans le cadre des COP chaque planification régionale en identifiant pour chaque usage (résidentiel, tertiaire et industriel) le besoin en chaleur corrélé aux objectifs de potentiels établis dans la SFEC. « Un travail collectif pour alimenter les travaux de planification qui a été particulièrement bien accueilli par les collectivités et les conseils régionaux, souligne Marion Lettry, soit pour établir une base, soit pour compléter le travail existant. » Des dynamiques régionales qui s’avèrent bien différentes d’une région à l’autre, en lien principalement avec le taux d’industrialisation. En effet, les régions industrielles que sont l’Auvergne-Rhône-Alpes (AURA) et les Hauts-de-France ont bien souvent des besoins en chaleur importants. Par exemple, en région AURA, l’étude indique que pour répondre à des besoins de chaleur avec des températures élevées, la valorisation de la chaleur fatale, le solaire thermique ou encore le bois-énergie seront les filières les plus pertinentes. En Île-de-France, ce sera plutôt la géothermie profonde qui serait la plus pertinente pour couvrir une grande partie des besoins en chauffage collectif et eau chaude sanitaire. Dans les Hauts-de-France, un potentiel important et encore inexploité de valorisation de la chaleur pourrait se faire au travers des unités de valorisation énergétique (UVE) en passant de 63 % aujourd’hui à 74 % d’ici 2030. En région Normandie, qui présente sa feuille de route le 10 septembre à l’occasion de sa « nouvelle » COP, l’étude estime que près de 19,5 TWh de chaleur EnR/R pourrait être produite en 2030, soit près de 9,3 TWh de plus qu’en 2022. Une production principalement issue de la biomasse (9,2 TWh), des PAC et du biogaz. « Ce qui est intéressant c’est que toutes les régions sont en mesure de boucler en 2030 par rapport à l’ambition nationale » note Marion Lettry.

Cependant, l’enjeu post-2030, notamment en ce qui concerne l’usage de la biomasse qui représente tout de même quasiment la moitié de la chaleur consommée en France (108 TWh), reste entier. Les travaux de la Fedene seront à croiser avec les travaux à venir du GIS biomasse lancés en février dernier et qui doivent permettre de mieux recenser les gisements régionaux de biomasse. En attendant, comme la plupart des filière énergétiques depuis plusieurs semaines, la Fedene appelle à maintenir l’ambition pour la chaleur renouvelable tout en rappelant qu’ « un euro dépensé via le fonds chaleur, c’est en réalité 4 euros investis » dans les territoires.

 

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