Dunkerque : ArcelorMittal retarde son projet d’acier décarboné

Publié le 25/11/2024

6 min

Publié le 25/11/2024

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Le sidérurgiste ArcelorMittal a décidé de  retarder son projet massif d’acier décarboné sur son site de Dunkerque (Nord), a indiqué le 23 novembre le ministre délégué chargé de l’industrie Marc Ferracci. Ce site fait partie des 50 sites industriels les plus émetteurs de gaz à effet de serre de  France avec qui l’État a signé des contrats de transition écologique en novembre 2023. Sur le territoire de Dunkerque, représentant 20 % des émissions industrielles de la France et particulièrement stratégique pour tenir les objectifs gouvernementaux en matière de décarbonation mais aussi de réindustrialisation et d’emploi, cette annonce inquiète. 

Par la rédaction, avec AFP

 

« La sidérurgie européenne est actuellement en crise, avec un niveau de  demande et de prix de l’acier atteignant un bas historique. Ce contexte explique la décision d’ArcelorMittal de reporter son investissement dans la  décarbonation du site de Dunkerque qui ne tourne actuellement pas à pleine  capacité« , a affirmé Marc Ferracci, dans une déclaration transmise à l’AFP. Selon le journal L’Usine nouvelle qui a révélé l’information samedi, « le  groupe demande désormais des mesures de protection de l’acier européen de la  part de la Commission européenne avant d’engager tout investissement de ce  type en Europe ». Car il est vrai que si la crise guette sur l’acier européen avec les annonces d’ArcelorMittal mais aussi du géant allemand de l’acier ThyssenKrupp, les  signaux  sur l’industrie en général sont de plus en plus inquiétants, entre fermetures d’usines, renoncements aux investissements dans la transition et réduction des effectifs, les maux de l’industrie européenne, soumise à une féroce concurrence internationale, sont de plus en plus palpables.

Un projet emblématique de la décarbonation industrielle

C’était l’un des projets emblématiques de la décarbonation de l’industrie en France.  Annoncé en janvier dernier par le gouvernement, celui-ci devait permettre à ArcelorMittal, via un investissement chiffré à 1,8 milliard d’euros, dont une aide de l’État pouvant aller jusqu’à 850 millions d’euros, de réduire de plus de 6% les émissions de CO₂ du secteur industriel en France, en décarbonant la production d’acier sur son site de Dunkerque. Un investissement pour construire deux fours électriques ainsi qu’une unité de réduction directe du fer, première étape pour produire l’acier décarboné. Ces installations fonctionnant à l’électricité et au gaz, et à terme à l’hydrogène, se substitueront aux fourneaux fonctionnant au charbon. A terme, c’est 4 millions de tonnes d’acier vert qui seront produites annuellement par le site de Dunkerque (sur une production totale de 6,8Mt/an) et un abattement annuel des émissions de CO₂ de 4,4Mt en moyenne sur les quinze premières années du projet, soit 5,7% de l’ensemble des émissions industrielles nationales. Sur les 15 ans de durée de vie du projet, « c’est environ 70 Mt de GES qui seront évitées « soit presque le niveau d’une année entière d’émissions industrielles aujourd’hui en France » indiquait le 15 janvier, la Direction générale des entreprises. Les fours et l’unité de réduction directe du fer devaient commercer à fonctionner en 2027.

 

Arcelor attend des garanties de l’Europe

Le ministre délégué a assuré que « l’État français travaille, notamment avec les autres pays européens, pour rétablir des règles équitables face à la  concurrence  internationale« . Le sidérurgiste ArcelorMittal a demandé ce lundi à l’Union européenne de protéger la compétitivité de l’acier européen, mettant dans la balance ses projets de décarbonation sur le continent et des milliards d’euros d’investissements à la clé. Le groupe attend des garanties de l’Europe sur trois points : il souhaite connaître le détail d’un « plan acier » en discussion à Bruxelles et au menu d’un « conseil compétitivité » prévu jeudi. Il réclame par ailleurs un « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières efficace« , ainsi que des « mesures de défense commerciale plus robustes », selon une déclaration transmise à l’AFP. Le groupe a des projets de décarbonation en France mais également chez trois de ses voisins : l’Europe a validé 1,3 milliard d’euros d’aides publiques de l’Allemagne, 460 millions d’euros de l’Espagne et 280 millions d’euros de la Belgique. « Le marché dans lequel nous opérons est difficile et les nombreuses incertitudes politiques et réglementaires impactent fortement notre industrie », a déclaré Arcelor, évoquant « une concurrence extra-européenne déloyale ». Le groupe affirme cependant rester engagé « pour [sa] décarbonation en Europe », en attendant des réponses de Bruxelles pour prendre ses décisions finales d’investissement.

Un « scénario noir » pour la CGT

Gaëtan Lecocq, secrétaire général de la CGT à Arcelor Dunkerque et élu au CSE de Dunkerque, a évoqué « un scénario noir« , sans être en mesure de confirmer les projets éventuels de la direction. « Avec les engagements liés à la COP21, on doit réduire nos émissions de CO₂ d’un tiers d’ici 2030. Si l’on ne tient pas ces engagements, dans le meilleur des cas, Arcelor supprime toute la filière fonte, qui représente la moitié de  l’usine (…). Le scénario le plus pessimiste, qu’on redoute, c’est la fermeture de l’usine« , a déclaré le syndicaliste à l’AFP. Arcelor Dunkerque, c’est « le plus haut fourneau d’Europe, 3 200 CDI directs, entre 8 000 et 9 000 en comptant les emplois indirects. Une famille 
sur cinq du Dunkerquois travaille directement ou indirectement pour ArcelorMittal », a-t-il insisté. « Pour l’instant, on met la pression sur les politiques pour qu’ils agissent, on ne va pas se laisser crever comme ça (…), on est le premier syndicat de la métallurgie en France, on sait se battre. Dès que les annonces vont tomber, on sera prêts« , a-t-il promis.

Dans la filière de la métallurgie, les émissions sont tout particulièrement concentrées puisque si seulement six sites sont recensés dans les 50 sites les plus émetteurs de France, ils représentent à eux seuls 85 % des émissions de cette filière sur le territoire national. Les trois aciéries d’ArcelorMittal dans le Nord, les Bouches-du-Rhône et la Moselle émettent 19 MtCO₂eq. par an, « soit plus de 80 % des émissions de la filière et près de 40 % des émissions des 50 sites ». Ces trois sites se sont engagés à réduire de près de 40 % leurs émissions d’ici à 2030. Leur feuilles de route prévoient une réduction moyenne de 32 % de leurs émissions par rapport à 2015 en actionnant plusieurs leviers et d’abord le levier énergétique en gagnant en efficacité énergétique pour optimiser les process et en électrifiant certains process et procédés.