Énergie, innovation, souveraineté : l’Union veut reconquérir sa compétitivité

Ursula von der Leyen a présenté mercredi 29 janvier la “boussole pour la compétitivité”, première initiative majeure du nouvel exécutif , qui doit donner le cadre stratégique des cinq prochaines années avec une ambition permettre à l’Europe de retrouver sa compétitivité. ©European commission

Publié le 29/01/2025

8 min

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La Commission a présenté ce 29 janvier la première initiative majeure de sa nouvelle mandature, sa « boussole » pour permettre à l’Union européenne de regagner en compétitivité dans une économie européenne aujourd’hui qui tourne au ralenti.

Par la rédaction, avec AFP

 

Choc de simplification, baisse du coût de l’énergie… Bruxelles a dévoilé cet après-midi sa feuille de route pour la compétitivité qui place les entreprises au cœur du quinquennat d’Ursula von der Leyen après l’accent mis ces dernières années sur l’environnement et la transition écologique. L’innovation, la décarbonation et  la sécurité seront les trois grands axes d’action du nouvel exécutif Bruxellois qui reprend à son compte de nombreuses propositions du rapport de l’ancien chef de gouvernement italien Mario Draghi. En septembre, celui-ci  avait fait  un constat alarmant sur le décrochage de l’économie européenne dans différents domaines stratégiques : l’écart de productivité croissant avec les États-Unis et la Chine, un déficit d’investissement dans les technologies vertes ou encore un déficit d’innovation et la peur du risque inhérente à toute transformation profonde, évoquant par exemple le fait que depuis 2008, 30 % des entreprises les plus innovantes valorisées à plus d’un milliard d’euros ont quitté l’Union européenne, principalement pour aller aux États-Unis.

 « Corriger nos faiblesses »

« Notre modèle économique s’est principalement appuyé sur la main-d’œuvre bon marché de la Chine, l’énergie prétendument bon marché de la Russie et une sécurité et des investissements dans la sécurité que nous avons en partie délégués. Ce temps-là est révolu. Nous constatons aujourd’hui que l’Europe reste à la traîne derrière les États-Unis et la Chine en matière de croissance de la productivité » a déclaré la présidente de la Commission européenne Ursula Von der leyen ce 29 janvier, qui promet de « corriger ces faiblesses ». La publication de cette « boussole de compétitivité« , prévue de longue date, intervient sous la pression des annonces tonitruantes de Donald Trump en matière de protectionnisme ou d’investissements géants dans l’intelligence artificielle… Champions du numérique, les États-Unis mais aussi la Chine ont creusé un fossé béant avec une Europe enlisée dans la stagnation.  

Choc de simplification

Les nombreux textes environnementaux votés ces dernières années sont dans le viseur des entreprises qui multiplient les menaces de délocalisation, tandis que les écologistes craignent un détricotage des lois climatiques. Des dizaines de législations seront revues pour réduire la charge administrative, en particulier un texte emblématique sur le devoir de vigilance des entreprises envers leurs sous-traitants, un autre sur le reporting social et environnemental, ou encore le règlement Reach pour protéger la santé humaine contre les risques liés aux substances chimiques. Mais le vice-président Stéphane Séjourné promet « un choc de simplification sans toucher aux objectifs environnementaux ». Une nouvelle catégorie de société de taille intermédiaire, entre PME et grand groupe, sera créée pour alléger le fardeau réglementaire d’environ 30 000 entreprises, selon un texte provisoire consulté par l’AFP. Un régime juridique européen spécifique, distinct des 27 juridictions nationales, serait créé pour permettre aux entreprises innovantes d’accéder à des « règles harmonisées » en matière de faillite, de loi du travail, de fiscalité.

Un coût de l’énergie beaucoup trop cher

Depuis la guerre en Ukraine, l’Europe a réduit considérablement son approvisionnement en gaz russe bon marché et subit un coût de l’énergie très supérieur à ses concurrents internationaux. En moyenne, les entreprises de l’Union européenne continuent de faire face à des prix de l’électricité deux à trois fois plus élevés que ceux des États-Unis et à des prix du gaz naturel quatre à cinq fois plus élevés. Pour sauver son industrie, l’UE doit réduire sa dépendance aux énergies fossiles. « Nous devons développer davantage notre production d’énergie issue de sources renouvelables, et, dans certains pays, du nucléaire », a déclaré à Davos Ursula von der Leyen, reconnaissant le rôle de l’atome longtemps tabou à Bruxelles. La boussole de la Commission préconise aussi de « faciliter les contrats de long terme d’achat d’électricité » et d’accélérer l’investissement dans le réseau de transport et de stockage d’énergie. « Nous présenterons par conséquent, dans quelques semaines, le plan d’action pour une énergie abordable afin de travailler sur les problèmes structurels, en vue de faire baisser les prix de l’énergie pour notre secteur industriel » a annoncé Ursula von der Leyen ce 29 janvier.

Des aides et des incitations pour une industrie bas carbone

Des aides publiques « ciblées et simplifiées » seront mises en place pour encourager la transition verte de l’industrie. Pour une efficacité maximale, Stéphane Séjourné voudrait viser prioritairement « les 100 premiers sites émetteurs de CO₂ » qui représentent plus de la moitié des émissions industrielles en Europe. Des labels pour développer la demande en produits bas carbone seront créés. Bruxelles entend par exemple développer l’acier « vert » dont la demande est aujourd’hui quasiment nulle en raison de coûts prohibitifs. Pour les branches les plus en difficulté comme la chimie, la sidérurgie et l’automobile, des plans sectoriels spécifiques sont prévus dès cette année.

Assouplir les règles de concurrence 

L’innovation dans le secteur technologique nécessite de très gros budgets que seules les plus grandes entreprises sont en mesure d’assumer. D’où des mariages géants au niveau international. Or, quand la Commission, gendarme de la concurrence dans l’UE, étudie une fusion, elle prend essentiellement en compte son impact sur les prix, ce qui freine la création de champions européens. Mario Draghi a recommandé d’adapter la réglementation des concentrations pour tenir compte aussi des effets positifs sur l’innovation. Il a été entendu par la Commission qui annonce « de nouvelles lignes directrices pour évaluer les fusions ».

Réduire les dépendances

Stéphane Séjourné veut accélérer la réouverture de mines de métaux rares en Europe et a déjà reçu 170 projets d’exploitation ou de recherches minières, des projets souvent contestés localement pour leur impact environnemental. L’objectif est de réduire les dépendances européennes, notamment envers la Chine. « On va faciliter » l’attribution de permis, affirme le commissaire chargé de la stratégie industrielle. La boussole prévoit également la création d’une plateforme pour l’achat en commun de matières premières stratégiques. Elle insiste sur le développement de partenariats internationaux multiples pour rendre les approvisionnements résilients, y compris dans les technologies vertes (solaire, éolien), numériques (puces) ou les ingrédients essentiels pour les médicaments. Dans un texte provisoire, la boussole évoquait l’introduction dès l’an prochain d’une « préférence européenne dans les marchés publics » pour certaines technologies critiques, une mesure poussée par la France afin de répliquer aux restrictions de la Chine.

Construire l’union de l’épargne 

Le marché unique a plus de 30 ans et il a aidé à faire naître des géants européens dans la chimie, l’aéronautique ou l’automobile. Mais il souffre d’angles morts : la finance, mais aussi les télécoms, l’énergie ou la défense restent morcelés par des réglementations nationales différentes. « Supprimer les barrières restantes et élargir le marché unique contribuera à la compétitivité dans toutes ses dimensions », souligne la Commission. Unifier les marchés de capitaux européens est une priorité, mais les intérêts nationaux divergents ont empêché tout progrès depuis 10 ans. Résultat : l’Europe dispose d’une monnaie unique mais ses start-ups restent incapables d’effectuer les levées de fonds géantes de leurs concurrentes aux États-Unis. Ursula von der Leyen a promis à Davos une première mesure concrète : la création de « nouveaux produits d’épargne et d’investissement européens ».

« Notre succès se mesurera à l’aune de quatre ambitions » a déclaré de son côté le commissaire européen en charge de la compétitivité Stéphane Séjourné. « Ouvrir plus d’usines que nous n’en fermons, produire davantage en  Europe, augmenter l’emploi  et augmenter le nombre de licornes européennes » : voilà les objectifs fixés par le vice-président français. Promis par Ursula von der Leyen dans les 100 premiers jours de son second mandat, le Clean Industrial Act, combinant compétitivité et innovation pour promouvoir des technologies bas carbone et renforcer l’indépendance énergétique du continent, sera présenté le 26 février.