Gazoduc Finlande-Estonie : des dommages et des suspicions

Mise en service en 2019, "Balticconnector", est le seul canal d'importation de gaz vers la Finlande (en dehors du GNL) depuis l'arrêt des importations russes en mai 2022. ©Shutterstock

Publié le 13/10/2023

6 min

Publié le 13/10/2023

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Le 9 octobre, le gazoduc Balticconnector a été fermé par les autorités finlandaises. En cause : une fuite sur le gazoduc provoquée par une « force mécanique » selon la police finlandaise. Mis en service en 2019, Balticconnector est le seul canal d’importation de gaz vers la Finlande (en dehors du GNL) depuis l’arrêt des importations russes en mai 2022. Ses réparations devraient prendre plusieurs mois, sans toutefois faire peser de risque d’approvisionnement sur le système gazier finlandais.

Par la rédaction, avec AFP

 

En annonçant dimanche la fermeture de Balticconnector en raison d’une suspicion de fuite, rendant inopérant le dernier gazoduc en service de la Finlande après l’arrêt des importations russes, le gestionnaire du réseau gazier finlandais Gasgrid a sans le vouloir relancé le débat sur la sécurité des infrastructures énergétiques, plus d’un an après le sabotage sur le gazoduc Nord Stream transportant du gaz naturel de la Russie vers l’Allemagne, dont l’origine reste une énigme aujourd’hui.

Un acte délibéré ?

Le gaz naturel représente environ 5 % de la consommation d’énergie de la Finlande, principalement utilisé dans l’industrie et la production combinée de chaleur et d’électricité. Gasgrid a assuré que le système gazier finlandais était stable, l’approvisionnement en gaz étant assuré par le biais d’un terminal de gaz naturel liquéfié (GNL) flottant à Inkoo (sud). Que s’est-il passé au large de la côte finlandaise de la mer Baltique dimanche dernier ? L’institut de sismologie norvégien Norsa a détecté une explosion dans la nuit de samedi à dimanche dans la zone de la mer Baltique où se situe le gazoduc. Le président finlandais Sauli Niinistö a annoncé mardi que la fuite sur le gazoduc avait probablement « résulté d’une activité extérieure« , suscitant immédiatement des interrogations sur une éventuelle implication de la Russie. Une enquête a été ouverte, tant du côté finlandais qu’estonien, et les deux pays sont restés prudents sur les conclusions à en tirer. Il faut « rester calme » et attendre les conclusions de l’enquête, a ainsi déclaré jeudi le ministre estonien de la Défense Hanno Pevkur, à son arrivée au siège de l’Otan. Plusieurs responsables ont qualifié ces incidents de « sabotage » mais aucune preuve n’est venue étayer ces affirmations. Si les enquêteurs finlandais n’ont pas relevé d’indices d’utilisation d’explosifs, l’institut norvégien de sismologie a détecté de son côté une « explosion probable » dans la zone de la fuite. La Finlande, qui partage une frontière de 1 300 kilomètres de long avec la Russie, a provoqué la colère de Moscou en rejoignant l’Otan après avoir renoncé à des décennies de neutralité, après l’invasion russe de l’Ukraine le 22 février 2022. Le ministre finlandais s’est toutefois refusé à accuser directement la Russie ou à spéculer sur le déclenchement de l’article 5 de l’Alliance, en cas de preuve d’une implication russe. L’article 5 est une clause de solidarité en cas d’attaque contre l’un des pays membres. Le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg a promis mercredi une « réponse déterminée » de l’Alliance si les dommages causés à ce gazoduc s’avéraient résulter d’une « attaque délibérée« . Le gazoduc devrait être indisponible près de cinq mois selon Gasgrid.VANZETTI

 

La Finlande menacée ?

La menace d’opérations russes sur les infrastructures de la Finlande a augmenté depuis son adhésion à l’Otan, estimaient les services de renseignement finlandais (Supo) jeudi, au moment où les autorités enquêtent sur l’éventuel sabotage d’un gazoduc. « La menace d’espionnage ou d’opérations d’influence contre des infrastructures essentielles a augmenté« , a déclaré Antti Pelttari, le directeur du Supo, au cours d’une conférence de presse. Les relations avec le puissant voisin russe se sont « significativement détériorées » depuis l’accession de la Finlande à l’Otan en avril et la Russie « est préparée à prendre des mesures contre la Finlande« , estiment les services finlandais dans leur rapport annuel. Le responsable du Bureau national d’enquêtes (NBI) n’a pas voulu entrer dans les détails, se contentant d’indiquer qu' »aucune hypothèse n’était exclue » concernant l’origine de cet incident. Les autorités finlandaises ont en parallèle exhorté les entreprises et organismes en charge d’infrastructures critiques à relever leur niveau de préparation et de surveillance. « Les dommages portés aux infrastructures critiques, causés de façon probablement intentionnelle, sont une question très grave », a relevé Janne Kankanen, le patron de l’agence publique chargée de l’approvisionnement en biens essentiels.

Renforcer la sécurité des sites stratégiques

« Le secteur de l’énergie est ainsi un exemple de cible pertinente à cet égard », a noté le chercheur Suvi Alvari. Dix pays du nord de l’Europe ont convenu ce 13 octobre de travailler au renforcement de la surveillance de leurs infrastructures critiques, près d’une semaine après l’arrêt d’un gazoduc en Finlande qui pourrait avoir été visé par un sabotage. Le gazoduc endommagé reliant l’Estonie à la Finlande « montre l’importance de la sécurité autour des infrastructures critiques« , a souligné le Premier ministre suédois, Ulf Kristersson, à l’issue d’une réunion des 10 pays membres de la Force expéditionnaire conjointe (JEF). « C’est pour cela que nous avons invité nos ministres de la Défense respectifs à se rencontrer et à discuter de la manière dont nous pouvons renforcer ensemble la protection de ce type d’infrastructure, en particulier sous-marine« , a-t-il ajouté depuis l’île suédoise de Gotland, en mer Baltique. La JEF est une coalition de 10 pays qui réunit le Danemark, l’Estonie, la Finlande, l’Islande, la Lettonie, la Lituanie, les Pays-Bas, la Norvège, la Suède et le Royaume-Uni, autour des questions de défense. « Il y a un spaghetti de câbles, de pipelines et d’infrastructures sur le fond marin qui est absolument fondamental pour le trafic de données (…) et tout ce qui est contrôlé numériquement. Les vulnérabilités sont beaucoup plus importantes aujourd’hui », a encore relevé le Premier ministre suédois.

« C’est n’importe quoi » selon Vladimir Poutine

Dans la même sémantique que celle utilisée il y a un an, le président russe Vladimir Poutine a jugé absurde vendredi de soupçonner Moscou d’être à l’origine du possible sabotage d’un gazoduc entre la Finlande et l’Estonie, estimant qu’il s’agissait d’une tentative de « détourner l’attention » de celui des gazoducs Nord Stream en 2022. Interrogé au cours d’une conférence de presse à Bichkek au Kirghizstan sur les soupçons visant son pays, M. Poutine a répondu : « C’est n’importe quoi. Franchement, je ne savais même pas que ce gazoduc existait. » Il a estimé que cette infrastructure avait pu être victime d’un problème technique ou même « possiblement un tremblement de terre« . Selon lui, les accusations à l’encontre de la Russie ont pour objectif de « dissimuler l’acte terroriste commis par l’Occident à l’encontre de Nord Stream. À détourner l’attention« .