Industrie : l’exécutif présente son plan d’urgence

Le Gouvernement a introduit par amendement au projet de loi de finances pour 2025, 1,55 Md€ additionnels pour décarboner les 50 sites industriels les plus émetteurs de CO2. ©Shutterstock

Publié le 30/11/2024

7 min

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En France comme en Europe, le secteur industriel souffre, mis à mal par une concurrence internationale très forte. Le Premier ministre a lancé le 29 novembre « un plan global » pour l’industrie et pour l’emploi, avec plusieurs priorités : poursuivre la décarbonation de l’industrie, renforcer sa compétitivité, protéger les emplois et la reconversion vers des secteurs d’avenir et construire une véritable stratégie commune européenne. À cette occasion, Michel Barnier s’est dit « favorable à ce que l’on exempte l’industrie » du dispositif « zéro artificialisation nette » (ZAN) « pour une période de cinq ans. »

Par Laura Icart

 

« L’industrie fait vivre le lien social, les commerces et les services de proximité. Elle fait battre le cœur de nos territoires. L’industrie est essentielle à notre prospérité, à notre souveraineté et à notre cohésion. Avec l’industrie, c’est l’avenir de notre modèle social, notre avenir, qui est en jeu » a déclaré le Premier ministre en déplacement sur le site industriel de Texelis à Limoge (Haute-Vienne) vendredi 29 novembre, rappelant que la France « a créé plus de 130 000 emplois industriels depuis 2017 ». Mais notre pays, qui a connu selon un rapport de la Cour des comptes « un rythme de désindustrialisation plus marqué entre 2000 et 2010 que les autres pays européens », continue d’être « l’un des plus attractifs d’Europe pour les investissements étrangers depuis cinq ans [depuis 2019, la France se classe première du baromètre de l’attractivité EY en Europe, devant l’Allemagne et le Royaume-Uni, y compris pour les investissements manufacturiers, NDRL] » indique Michel Barnier, même si sur le terrain les plans sociaux, les fermetures ou les reports d’investissements dans la transition, comme Arcelor-Mittal à Dunkerque, inquiètent.

Réindustrialiser la France : le sacerdoce

Refaire de la France une grande nation industrielle à l’heure de l’urgence climatique – en 1973 l’industrie représentait 22 % de la richesse nationale contre à peine 11 % aujourd’hui – constitue un véritable défi autant qu’une nécessité. Dans une note publiée en mars 2023, le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) indique qu’entre 1970 et 2021, la part en France du secteur manufacturier dans le produit intérieur brut (PIB) a chuté de 23 à 10 % et celle dans l’emploi de 29 à 11 %. Selon un récent rapport de la Cour des comptes, le poids économique de l’industrie « s’est stabilisé » à 14 % du PIB entre 2011 et 2019, « avant d’atteindre 15 % en 2023 en raison du rebond du secteur de l’énergie ». « Nous avons inversé la tendance en matière de fermeture d’usines avec plus de 400 ouvertures ou extensions nettes depuis 2022 » souligne le Premier ministre. Et si le dernier baromètre industriel publié par le ministère de l’Économie le 7 novembre fait état d’un léger ralentissement au premier semestre 2024, la dynamique est pourtant « bien lancée, indique Bercy, avec plus d’usines aujourd’hui en France qui ouvrent par rapport à celles qui ferment ». Au premier semestre 2024, l’Hexagone a enregistré 125 ouvertures et extensions significatives, comprenez une hausse d’au moins 40 % de la valeur ajoutée, des effectifs ou de la production, contre 89 fermetures ou réductions de sites, soit un solde net de 36 ouvertures contre 105 au premier semestre 2023. « La compétitivité et l’attractivité sont plus que jamais des enjeux clés pour les industriels français, qui sont particulièrement exposés aux politiques commerciales américaine et chinoise interventionnistes et offensives » précise Bercy alors que le contexte géopolitique est particulièrement tendu des dernières années avec plusieurs zones de guerre qui créent beaucoup d’incertitudes, en premier lieu desquelles la grande volatilité des prix de l’énergie qui a particulièrement impacté le secteur industriel.

De nouvelles mesures de simplification 

Si le projet de loi de simplification, qui sera étudié en séance publique en janvier à l’Assemblée nationale, comprend de nombreuses mesures sectorielles pour favoriser les investissements et alléger les contraintes pour les entreprises et l’industrie, le Premier ministre a fait plusieurs annonces vendredi, dont certaines prendront la voie du Parlement. « Le gouvernement porte un agenda de simplification pour donner de la visibilité et de la stabilité réglementaire aux entreprises et aux investisseurs, garantir les investissements et faciliter l’implantation de projets industriels en France » a rappelé Michel Barnier, évoquant des normes parfois « inutiles ou redondantes » et annonçant qu’un certain nombre procédures allaient être revues. Le gouvernement propose notamment que les projets industriels ne figurent plus dans le champ d’intervention de la CNDP, apportant « un gain de 6 à 12 mois pour les porteurs de projets » estime Bercy. Autre mesure : la suppression du double degré de juridiction pour les contentieux liés aux projets industriels, « un gain de 18 mois en moyenne » toujours selon Bercy. Autre évolution proposée par Michel Barnier : dans la lignée des propositions faites par le Sénat, l’exemption de tous les projets industriels du dispositif ZAN pour une période de cinq ans avec une clause de revoyure.

Mener une politique industrielle plus offensive en Europe

« Nous avons besoin d’une véritable stratégie industrielle européenne avec des investissements massifs et des mesures de défense commerciale, sans tabou » souligne Michel Barnier, qui parle d’« une concurrence internationale de plus en plus dure et souvent déloyale. Et je ne pense pas que ça va s’arranger quand on sait ce qui se prépare de l’autre côté de l’Atlantique ». Pour le Premier ministre, il faut davantage « s’affirmer et anticiper » en protégeant davantage l’industrie française et européenne à la pointe de la décarbonation, évoquant la nécessité de rétablir un équilibre entre une offre européenne exigeante et une offre qui le serait moins. « L’ensemble des instruments de défense commerciale doit être mobilisé pour assurer qu’une stratégie de dumping sur les produits verts n’aie aucune chance de succès en Europe » espère l’exécutif français. Outre le cadre global, le Net Zero Industrial Act (NZIA), le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) ou le règlement batteries, le gouvernement français plaide pour une véritable stratégie industrielle européenne pour assurer le développement de nos industries vertes. La France souhaite s’assurer que la fixation des futurs objectifs de l’Union à l’horizon 2035 et 2040 « soit bien cohérente avec la stratégie et les moyens industriels de l’Union aux mêmes échéances », rappelant au passage que 39 % de l’empreinte carbone de notre pays est liée à ses importations et que « la production estimée d’un même bien en France se traduirait par des émissions 40 % plus faibles que sa production en Asie » selon Bercy. Cependant, sur le sujet de la compétitivité industrielle comme sur celui des modes de production énergétiques, l’Union européenne peine toujours à se mettre d’accord. Preuve en est, les ministres européens de l’Industrie réunis à Bruxelles le 27 novembre ne sont pas parvenus à convenir d’une déclaration commune concernant la compétitivité économique de l’UE alors que la Commission travaille sur les priorités de ses 100 premiers jours de mandature. En cause, encore et toujours, le nucléaire et son éligibilité à des fonds européens. Paris demande à ce que toutes les technologies de décarbonation soient soutenues, y compris le nucléaire, quand Berlin et Madrid s’y opposent.