La commission sénatoriale souhaite une entrée de l’État au capital de TotalEnergies

TotalEnergies est responsable d’1,2 % de la production mondiale de pétrole par jour en 2023. L’année dernière, 3 % de sa production d’énergie finale concernait l’électricité renouvelable et 35 % de ses investissements nets les énergies bas-carbone. ©Shutterstock

Publié le 19/06/2024

6 min

Publié le 19/06/2024

Temps de lecture : 6 min 6 min

La commission d’enquête du Sénat consacrée à TotalEnergies et l’action climatique recommande que l’État détienne une « action spécifique » au capital du groupe pour y avoir un « droit de regard » et cesse « dès que possible » les importations de GNL russe, selon son rapport présenté mercredi 19 juin. « L’État doit inciter plus fortement le groupe TotalEnergies à se placer aux avant-postes de la transition énergétique » estiment les auteurs du rapport.

Par la rédaction, avec AFP

 

Initiée en décembre par le groupe écologiste au Palais du Luxembourg, cette commission est parvenue à achever ses travaux la semaine passée avec l’adoption d’un rapport à l’unanimité. Pour rappel, ce rapport de la commission d’enquête visait à évaluer les moyens mobilisés et mobilisables par l’État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France. Après avoir mené plus de 40 auditions, cette commission d’enquête « sur les moyens mobilisés et mobilisables par l’État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France« , formule 33 recommandations à l’adresse de l’État, certaines très généralistes en lien direct avec la stratégie énergétique de la France, d’autres spécifiques aux actions de la multinationale française qui a une production d’énergie finale de 15,1 pétajoules par jour (dominée par le pétrole à 53 % et le gaz à 42%).

Fixer un cap énergétique

« L’État doit réaffirmer le leadership de la France en matière de transition énergétique pour concrétiser l’accord de Paris » souligne la commission d’enquête, évoquant la nécessité d’avoir « d’ici la fin de l’année 2024 » une loi de programmation énergétique, une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et une stratégie nationale bas carbone (SNBC). « Il faut un cap » rappellent les sénateurs en citant plusieurs mesures qu’ils souhaitent voir inscrire dans ces textes programmatiques, telles qu’un objectif de 20 % de gaz renouvelables en 2030 « pour compenser la fin des importations russes » en fixant un objectif de production d’au moins 580 TWh d’électricité décarbonée notamment d’origine nucléaire en 2035, pour accompagner l’électrification des usages ou encore en prévoyant des trajectoires d’incorporation pour les biocarburants et les e-carburants, notamment pour les secteurs (maritime et aérien) les plus difficiles à électrifier.

Entrer au capital

La première mesure préconise « la détention par l’État d’une action spécifique au capital de TotalEnergies ». « Une action spécifique permettrait à l’État de disposer d’un  droit de regard sur les évolutions actionnariales du groupe et d’une plus grande information, voire une plus grande influence, en ce qui concerne les décisions stratégiques de son conseil d’administration« , souligne le rapport. La commission d’enquête justifie cette proposition au vu de « l’évolution des menaces qui pèsent sur la souveraineté énergétique de la France et de l’Europe, de l’évolution de la structure de l’actionnariat de TotalEnergies« , très tourné vers les États-Unis, « et de la nécessité d’accompagner une major européenne dans ses efforts de transition énergétique« . L’hypothèse de voir TotalEnergies délocaliser sa cotation principale à New York « a fait réagir le Sénat« , explique le sénateur écologiste Yannick Jadot, rapporteur de cette commission présidée par le LR Roger Karoutchi.

Sanctionner le GNL russe

Le rapport juge également nécessaire de « hisser la France en position de pionnier par rapport aux autres pays européens, en proposant l’inclusion du GNL (gaz naturel liquéfié) russe aux produits énergétiques sous sanctions européennes et en donnant l’exemple par l’arrêt dès que possible des importations de GNL russe en France« . Le GNL, gaz liquide acheminé par navires, est très convoité en Europe notamment depuis l’invasion de l’Ukraine et l’assèchement des approvisionnements de gaz russe par les gazoducs terrestres. TotalEnergies importe du GNL russe depuis des champs gaziers en Sibérie. De plus et dans un autre registre, la commission d’enquête propose de mieux évaluer l’impact du GNL en actualisant les facteurs d’émissions liés au GNL calculés par l’Agence de l’environnement et la maîtrise de l’énergie (Ademe) afin d’obtenir une information fiable sur ses émissions de gaz à effet de serre mais aussi en confiant à la Commission de régulation de l’énergie (CRE) la mission de réaliser un bilan annuel de la provenance et des émissions de GES liées aux importations de GNL sur le territoire français.

Arrêter les projets d’hydrocarbure

Le rapport demande également « l’arrêt des nouveaux projets ou de nouvelles phases de projets en cours impliquant des entreprises françaises dans le secteur des hydrocarbures en Azerbaïdjan« , par ailleurs pays hôte de la prochaine conférence climatique de l’ONU (COP29) en novembre.

Neutralité technologique et financement de la transition

La commission d’enquête propose de mobiliser un certain nombre de leviers budgétaires et fiscaux pour accompagner la transition énergétique. Elle évoque des bilans carbone « consolidés » qui seront appliqués aux projets d’électricité, de gaz et d’hydrogène renouvelables soutenus par appels d’offres, en aidant davantage au niveau des Opex et des Capex les projets industriels destinés à produire des projets d’électricité, de gaz et d’hydrogène renouvelables soutenus par appels d’offres ou encore en maintenant et consolidant les aides à l’acquisition des véhicules propres (bonus automobile, prime à la conversion, leasing social), pour les particuliers comme pour les professionnels. Une des recommandations fortes de ce rapport concerne également la consolidation du cadre européen en faveur de la transition et de la souveraineté énergétique. La commission d’enquête préconise de garantir « une neutralité technologique aux énergies renouvelables dans les différents textes européens, notamment les biocarburants, les e-carburants, le biogaz et l’hydroélectricité ». Elle demande également d’accélérer sur la mise en oeuvre des les projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC), notamment pour les batteries électriques et les électrolyseurs d’hydrogène.

La commission d’enquête souligne que « les efforts réalisés par le groupe en direction de la transition énergétique sont supérieurs à ceux effectués par les autres « majors » des hydrocarbures, notamment anglo-saxonnes. »

« Il y a six mois, qui aurait pu prédire que nous sortirions de cette commission d’enquête avec un rapport consensuel ? », a souligné M. Jadot devant la presse, en évoquant un rapport « de compromis » qui « fait honneur au Sénat« .