« La méthanisation nous permet de poursuivre une agriculture de bon sens »

Publié le 08/03/2023

7 min

Publié le 08/03/2023

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En Aveyron, Adeline Canac est avec son mari et ses fils à la tête d’une exploitation d’ovins lait. Une vocation agricole née sur le tard pour cette comptable qui a décidé en 2015, à 35 ans, de rejoindre son mari éleveur sur son exploitation familiale de Durenque. Depuis, cette vie au grand air est aussi source d’idées nouvelles à l’heure où les pratiques agricoles doivent se réinventer. Comme presque tous les agriculteurs, Adeline Canac est venue à s’intéresser à la méthanisation pour son intérêt agronomique. Aujourd’hui, présidente de l’Association des agriculteurs méthaniseurs d’Occitanie, elle revendique une méthanisation au service d’une « agriculture de bon sens » et de « la résilience » des exploitations. Rencontre.

Par Laura Icart

 

Présidente de l’AAMF Occitanie, administratrice de l’AAMF nationale, vice-présidente de la chambre d’agriculture de l’Aveyron, présidente pendant sept ans de la section départementale de l’association Familles rurales, Adeline Canac est une agricultrice engagée sur son exploitation et pour le monde agricole et qui a de l’énergie à revendre. Fille et femme d’agriculteur, elle est devenue elle-même agricultrice il y a huit ans pour profiter d’une vie « plus au grand air », « revenir à l’essentiel » comme elle dit, sur l’exploitation familiale de son mari Laurent, agriculteur installé depuis cinq générations sur la commune de Durenque. Elle parle avec enthousiasme de ce métier, de la polyvalence dont il faut faire preuve aujourd’hui, de l’importance de la transmission aux jeunes alors que la ferme France ne connaît plus l’engouement de jadis pour ce métier. Elle parle également de résilience, d’autonomie énergétique, de services rendus aux territoires et de « bon sens paysan » dans les  multiples transitions – énergétique, alimentaire, agroécologique et technologique – que nous vivons aujourd’hui.

Une exploitation familiale

Née en 1975 à Rodez, la fille d’agriculteur a épousé un fils d’agriculteur, lui-même agriculteur, Laurent Canac, en 1999. Après une quinzaine d’années à exercer l’activité de comptable, cette mère de deux enfants, Colin, 22 ans, et Thomas, 19 ans, rejoint Laurent pour produire du lait avec ses 650 brebis Lacaune. Une race locale de massif dont le berceau historique se situe entre le Tarn et l’Aveyron, au cœur d’un bassin où le lait produit permet la fabrication d’un fromage millénaire, une fierté locale à la renommée internationale pour les aveyronnais : le roquefort. Comme beaucoup d’éleveurs laitiers du département, l’intégralité de la production d’Adeline et de son mari est vendue à un artisan fromager « Fromabon » installé à La Cavalerie.

Productrice d’énergie verte 

À peine ce changement de vie entamé en 2015, Adeline s’intéresse de près à la méthanisation, pour son intérêt agronomique en premier lieu, avec la possibilité d’un retour au sol pour son fumier sous forme de digestat (engrais issu de la méthanisation) mais également parce que la méthanisation, estime-t-elle, c’est plus de « résilience » pour une exploitation, à l’heure où les contraintes normatives et administratives qui pèsent sur les élevages sont extrêmement importantes, notamment en ce qui concerne le traitement des effluents d’élevage. « Quitte à couvrir des fosses de fumier pour respecter la réglementation, autant retirer toute l’énergie contenue et la valoriser sous forme de biogaz pour alimenter en électricité et en chaleur nos bâtiments d’élevage mais aussi en revendant notre électricité. » En janvier 2016, après avoir rencontré des acteurs de la méthanisation sur le salon Expobiogaz notamment, elle décide de se lancer dans un projet de méthanisation en infiniment mélangé, en cogénération. Dans cette aventure, et parce qu’elle ne dispose pas de suffisamment d’intrants (1 300 tonnes de fumiers), elle intègre son frère, éleveur de vaches laitières, dont l’exploitation est située à 4 kilomètres de la sienne, qui dispose d’un gisement annuel de 2 500 tonnes de fumiers mais également d’autres éleveurs environnants (moins de 5 kilomètres) avec qui elle applique le principe du troc : elle récupère leurs fumiers, environ 4 500 tonnes à l’année, ils récupèrent le digestat. Le 14 août 2016, l’éleveuse dépose le permis et le 1er décembre 2017, elle signe son contrat de rachat d’électricité avec EDF – pour la petite histoire et les connaisseurs le premier BG16 signé avec EDF en France. Son unité commence à produire de l’électricité en février 2018. Pour Adeline, la méthanisation n’est certainement pas qu’une histoire d’énergie. C’est un outil au service de la pérennisation économique et environnementale de son exploitation. Sur sa terre, une zone de montagne et de prairie avec des sols principalement composés de silex, le digestat issu de la méthanisation est « une richesse » pour amender les sols. C’est « une économie très importante » pour les exploitations, à l’heure où l’ammonitrate coûte plus de 1 000 euros la tonne, et un atout agronomique certain.

La méthanisation, c’est aussi du « lien »

La méthanisation, c’est aussi « du lien » insiste-t-elle. Du lien « entre les agriculteurs », du lien entre les acteurs du territoire, même si elle en convient « ce n’est pas toujours simple » avec les gens qui vivent autour d’eux. Le rejet de la méthanisation, « c’est davantage de la méconnaissance relayée par ceux qui entretiennent le fait qu’il y aurait une concurrence avec l’alimentation humaine et animale ». Au-delà des bénéfices pour les exploitations agricoles (mise aux normes d’effluents d’élevages évités, baisse de charges liées à l’achat d’amendements chimiques), c’est aussi des « bénéfices sociétaux », comme la réduction des émissions de méthane, et des bénéfices pour les territoires (mobilité, valorisation des biodéchets), dont Adeline nous parle. En 2022, son unité de méthanisation a valorisé les déchets de laiteries du bassin de Roquefort, entre autres, évitant ainsi plus de 31 000 kilomètres de trajets jusqu’à la ville d’Agen pour s’en débarrasser. « Nous contribuons pleinement à l’économie circulaire » souligne Adeline. « Nous participons à construire des boucles locales énergétiques. Il serait peut-être temps que les pouvoirs publics et les élus  prennent conscience de tout ce que ce la méthanisation agricole peut apporter à la société et réciproquement » me glisse-t-elle. Car Adeline Canac, si enthousiaste, reste inquiète pour l’avenir de cette filière pourtant si « en phase » avec un contexte géopolitique qui nous rappelle l’importance d’avoir des filières de production énergétique souveraines. Elle me confie volontiers ses craintes face à une réglementation toujours plus stricte en termes d’agréments sanitaires notamment, face à des politiques publiques qui ne permettent pas d’avoir une visibilité sur le long terme, notamment avec un tarif d’achat plus du tout attractif aujourd’hui ou l’impossibilité d’auto-consommer sa propre électricité quand il y a un surplus de production, mais aussi face au développement d’une méthanisation plus industrielle. À l’État, qu’elle côtoie régulièrement lorsqu’elle se rend à Paris pour parler de méthanisation, mais aussi au gouvernement, elle rappelle qu’il faut faire « confiance aux agricultrices et aux agriculteurs, aux femmes et aux hommes de terrain qui savent ce qu’il faut faire et comment le faire ! »

Diversifier les activités sur son exploitation entre de la vente de lait et de la production d’énergie, c’est aussi apporter différentes sources de revenus à la ferme. Cette polyvalence « ouvre des portes » selon Adeline. Gérer une unité de méthanisation, c’est « beaucoup de travail » reconnaît volontiers l’éleveuse, mais c’est aussi de l’emploi durable créé localement et l’occasion de développer de nouveaux projets et de rendre neutre le bilan carbone de son exploitation. Une attractivité qui a convaincu ses deux fils de s’installer avec eux sur l’exploitation et d’assurer que la famille Canac aura bien une sixième génération d’agriculteurs sur ses terres aveyronnaises.