La PPE dans le viseur du Conseil supérieur de l’énergie

Publié le 20/12/2024

9 min

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Le Conseil supérieur de l’énergie (CSE) a étudié le 19 décembre le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) dont la consultation s’est achevée en début de semaine. Une séance longue et animée qui a permis d’aboutir à un avis positif de cette organe consultatif présidé par le député Ensemble pour la république du Rhône, Jean-Luc Fugit. Globalement, si les acteurs de la filière ont unanimement salué le travail de planification et la sortie de la PPE 3 « si nécessaire à la stabilité et à la visibilité » dont ils ont besoin, ils ont regretté « qu’aucune étude d’impact économique et technique poussée » n’ait accompagné cette consultation permettant « d’éclairer les citoyens » sur les impacts, notamment économiques, de la future trajectoire énergétique de la France dans les années à venir.

Par Laura Icart

 

Si le Conseil supérieur de l’énergie donne souvent lieu à de très longues séances de travail, il passe néanmoins rarement presque six heures sur un même texte. Les discussions autour de la PPE mais aussi de la stratégie de développement de la mobilité propres (SDPM) ont été « riches » et « animées » nous confie son président Jean-Luc Fugit. « Ce texte [la PPE, NDLR] est particulièrement structurant pour la France et pour les filières qui vont rendre ces trajectoires concrètes, ce débat est nécessaire » affirme-t-il, alors que l’avis a été adopté à la quasi-unanimité. À l’exception faite du député Rassemblement national de la Somme Jean-Philippe Tanguy, nouvel arrivant au CSE, qui s’est exprimé tout du long contre la copie gouvernementale dont les grandes lignes ont été présentées par la directrice générale de l’énergie et du climat, Sophie Mourlon.

Les grandes lignes de la PPE

Si les défis à relever sont nombreux, le gouvernement estime que sortir la France des énergies fossiles répond à un triple enjeu : un enjeu de souveraineté d’abord, où les crises pandémiques et géopolitiques mondiales sont venues nous rappeler notre vulnérabilité. La guerre en Ukraine a provoqué un « véritable séisme énergétique en Europe », mettant les Européens face à leur grande dépendance aux combustibles fossiles russes mais de manière plus générale à beaucoup de matières premières stratégiques ou de composants clés pour les technologies énergétiques décarbonées, qui se trouvent bien souvent en dehors des frontières de l’Union. C’est aussi un défi de compétitivité, avec une facture énergétique considérablement impactée de manière générale par l’importation de combustibles fossiles dont le coût a atteint un niveau record en 2022 : plus de 100 milliards d’euros. Enfin, un défi en forme de fil rouge : la lutte contre le réchauffement climatique qui passe, de l’aveu de tous les experts mondiaux du climat, par la décarbonation de nos économies. Plus concrètement, il s’agira de réduire nos consommations énergétiques de 40 à 50 % en 2050 par rapport à 2021 et plus globalement de sortir d’un système énergétique dominé par les énergies fossiles (60 % du mix énergétique) et enfin, et pas des moindres, il s’agira d’augmenter de 10 % notre production d’électricité en 2030, de 55 % en 2050, de doubler notre production de chaleur bas carbone en 2035 par rapport à 2021 et de quintupler notre production de biogaz par rapport à 2023 (9 TWh injectés).

Une meilleure vision des impacts sociétaux

Globalement, si tous les acteurs ne sont pas forcément d’accord sur le chemin, ils considèrent tous nécessaire de rendre cette « trajectoire soutenable » pour les Français et « compétitive » pour les entreprises en s’appuyant sur la sobriété, l’efficacité énergétique, le développement du nucléaire et le développement des énergies renouvelables. Plusieurs regrets néanmoins ont été évoqués par les filières : « l’absence d’une loi programmatique » votée en amont des textes, comme cela été évoqué mainte fois depuis un an ou encore le « un manque d’adéquation entre les objectifs identifiés dans la PPE 3 et la SDMP 3 et les moyens mobilisés, en particulier dans la situation budgétaire actuelle ». Sans surprise, les membres du CSE ont réaffirmé la nécessité de pérenniser les dispositifs et les moyens financiers qui viennent soutenir les efforts de décarbonation des ménages et des collectivités. Ils ont notamment demandé que « les objectifs quantitatifs de la PPE soient accompagnés de moyens budgétaires à la hauteur des enjeux et de dispositifs d’accompagnement plus simples, stables et permettant le financement du reste à charge » dans le cadre de travaux de rénovation énergétique et ont souligné que la dimension sobriété n’est pas suffisamment « expliquée ». Si la filière électrique a demandé une planification pour l’électrification des usages, la filière gazière et les associations de consommateurs demandent que « la trajectoire de réduction de consommation de gaz et ses sous‑jacents, en particulier les objectifs de suppression de chaudières gaz, soient assortis d’analyses d’impact détaillées sur l’ensemble du système énergétique et sur les coûts pour les consommateurs ». Plus largement, les membres du CSE s’’interrogent « sur le rythme des changements de système de chauffage prévus, qui peuvent impliquer des travaux importants pour les ménages, dans une période de contrainte budgétaire ». Autre sujet, sensible : celui des certificats d’économies d’énergies (CEE). Le CSE « appelle à donner le plus de visibilité et de stabilité possible » pour le dispositif des CEE, « en conservant une visibilité à 10 ans, avec un niveau d’obligation soutenable et réaliste au vu des gisements technico-économiques accessibles pour la sixième période (P6) et demande l’instauration « d’un seuil bas et non une fourchette » comme proposé actuellement et propose « la mise en place de paliers pour atteindre progressivement les niveaux d’obligation du scénario 1 de la P6 » ainsi qu’une adaptation du dispositif, notamment pour éviter les fraudes. 

Un mix énergétique « pluriel »

Les membres du CSE ont rappelé leur attachement à un mix énergétique « pluriel et équilibré mettant à profit la complémentarité entre les différentes filières », qu’elles soient renouvelables électriques et thermiques ou nucléaire. Le CSE a notamment demandé « de revoir la ventilation par segment des objectifs pour le solaire photovoltaïque », tout comme certains membres « estiment nécessaire de rehausser les trajectoires de développement de l’éolien terrestre ». L’ensemble des participants ont également demandé plus de simplification permettant d’accélérer le développement des projets. Le CSE a salué l’ambition de la PPE qui prévoit de doubler le rythme de déploiement de la chaleur renouvelable et de récupération, avec un objectif visé de près de 330 TWh en 2035, contre 182 TWh en 2021, et avec un palier de 288 TWh en 2030, tout en estimant important de soutenir l’ensemble des sources d’énergies renouvelables et de récupération. Pour le vecteur gaz, le CSE a « salué » les ambitions inscrites dans la PPE pour la méthanisation mais appelle à une prise en compte des autres filières de production de gaz renouvelables via une « trajectoire et des objectifs chiffrés de production ». Les acteurs demandent également aux pouvoirs publics d’«engager une réflexion sur les enjeux de l’évolution des infrastructures gazières en lien avec la diminution de l’utilisation de gaz fossile et la progression de l’usage de gaz renouvelables et bas carbone et de l’hydrogène » via une « approche globale des réseaux d’énergie en intégrant leur complémentarité ». Le CSE demande également de « fixer des objectifs ambitieux de développement des capacités d’électrolyse à 2035, et des carburants de synthèse pour l’aviation dès 2030, en phase avec le potentiel de la France », un potentiel qui pour les e-fuels serait important selon le bureau français des e-fuels. L’éternel et épineux sujet de la biomasse à des fins énergétiques a été longuement discuté par le CSE, qui estime que le bouclage de la biomasse doit faire l’objet d’un « diagnostic partagé » tout comme la hiérarchisation des usages des biomasses « avant toute décision de politique publique sur l’allocation de la ressource ». En outre, l’instance souhaite également « une clarification des hypothèses qui ont conduit à la définition des objectifs de consommation des biomasses et la mise en œuvre d’une régionalisation de la gestion des biomasses ».

Les réseaux, une pierre angulaire de la transition

Les réseaux jouent et joueront un rôle majeur dans le système énergétique français, « la question du financement de l’adaptation des réseaux de transport et de distribution d’énergie aux enjeux de la transition énergétique dans l’ensemble du territoire, y compris en zone rurale, et leur résilience face aux aléas climatiques » est centrale pour les membres du CSE, tout comme l’idée selon eux que les tarifs de réseaux « doivent continuer de refléter les coûts des opérateurs, et notamment pour le raccordement au réseau, afin de maintenir un signal prix incitatif à l’optimisation production/réseau ». Le CSE recommande « une planification rigoureuse et coordonnée des besoins à moyen et long terme, également en équipements et matériels » et une meilleure vision des moyens et des objectifs liés à la flexibilité.

Le CSE est également revenu sur l’importance de la planification territoriale de la place des collectivités, sur l’importance du soutien à la recherche et à l’innovation dans un « esprit de neutralité technologique » et a très longuement insisté sur une transition plus inclusive pour les citoyens en demandant notamment une stratégie de financement de la transition énergétique « cohérente avec les objectifs de la PPE ». Enfin, le CSE a souhaité attirer l’attention « sur l’avenir des emplois liés à la décroissance de l’activité dans le secteur pétrolier » et les reconversions dans le secteur des gaz renouvelables, tout comme l’importance de la formation et des compétences alors que des centaines de milliers de postes seront à pourvoir dans les prochaines années dans la transition et que plusieurs secteurs sont déjà sous tension, voire en pénurie.