« La synergie de l’énergie et l’agriculture doit nous conduire vers une société moins carbonée »

Publié le 25/02/2025
7 min
L’Association des agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF) regroupe près de plus de 600 agriculteurs répartis sur tout le territoire et se décline également en association régionale. Au Salon de l’agriculture, nous avons rencontré son président, Jean-François Delaitre, polyculteur et agriculteur méthaniseur à Ussy-sur-Marne (Seine-et-Marne) pour faire un point sur les leviers et les freins d’une filière, celle de la méthanisation agricole en injection et en cogénération, qui s’inscrit dans une cohérence environnementale et économique pas toujours reconnue à sa juste valeur par les politiques publiques en vigueur.
Propos recueillis par Laura Icart
Il y a un an, vous évoquiez la nécessité d’un choc de simplification via plusieurs demandes concrètes : faciliter l’octroi des délais, rationaliser l’exploitation et simplifier la transmission des données de contrôle et renforcer la cohérence réglementaire. A-t-on avancé sur ce chantier ?
Aujourd’hui, ce que l’on mesure c’est que nos demandes – plus de simplification dans les procédures administratives et normatives – rejoignent celles de l’ensemble du monde agricole. C’est du bon sens paysan qui fait parfois cruellement défaut quand nos politiques publiques sont construites trop loin des réalités du terrain et de ceux qui sont directement concernés. Si aujourd’hui on ne voit pas concrètement d’avancées significatives, notamment dans la durée de développement des projets [avec un délai compris entre trois et quatre ans entre le dépôt du dossier et la mise en service, NDLR], je suis confiant car tout le monde comprend que le manque de simplification crée des surcoûts qui pénalisent toute la filière. Ce que je mesure en revanche, c’est une plus grande implication des élus locaux et des collectivités qui accompagnent le développement des projets au niveau local, créant un climat de confiance entre tous les acteurs du territoire. Aujourd’hui, la méthanisation est beaucoup plus connue qu’il y a quelques années, une dynamique s’est créée même si le contexte politique instable complexifie les échanges avec le gouvernement et n’amène pas toujours la visibilité nécessaire.
« C’est du bon sens paysan qui fait parfois cruellement défaut quand nos politiques publiques sont construites trop loin des réalités du terrain et de ceux qui sont directement concernés.«
L’un des principaux reproches fait à la méthanisation par ses détracteurs est le fait de transformer des agriculteurs en énergiculteurs, le comprenez-vous?
Aujourd’hui, nous sommes mieux et bien accompagnés, notamment par le monde agricole, les organisations agricoles, les syndicats, les filières qui ont compris l’intérêt et la pertinence de ce modèle pour développer la résilience de nos fermes. Les échanges sont de plus en plus fréquents. Ils ont compris que la durabilité de nos exploitations, la pérennité de nos sols, boucler la boucle, c’est ce qui motive un agriculteur à se lancer dans la méthanisation. Et en particulier les éleveurs qui font face à des schémas économiques compliqués et qui trouvent dans la méthanisation une vraie clé pour pérenniser l’élevage. Il n’y a pas l’énergie et l’agriculture, il y a une synergie entre les deux qui doit nous conduire vers une société et des modes de production moins carbonés. En réalité, et c’est aussi une réponse faite aux critiques sur la méthanisation, c’est qu’il y a aujourd’hui une majorité de nos surfaces agricoles en France qui ne vont pas vers l’alimentaire mais qui sont destinées à l’exportation. Nous pouvons mener des projets énergétiques sans impacter aucunement la production alimentaire qui reste une priorité et en créant un revenu supplémentaire pour les agriculteurs et de la fertilisation organique pour nos sols. L’important est de définir les bonnes pratiques en amont et en aval des méthaniseurs et les partenariats à long terme que nous voulons créer avec les industriels et les territoires.
« Il y a de la place pour décarboner sans impacter aucunement la production alimentaire qui reste une priorité et en créant un revenu supplémentaire pour les agriculteurs.«
Autre sujet récurrent, celui de la biomasse…
Ce débat sur la biomasse est très important mais il est aussi sans fin. Ce que nous savons aujourd’hui, c’est que cette disponibilité – et de nombreuses études sont venues en attester – ne se pose pas avant plusieurs années, aussi nous avons besoin d’avancer sur ce sujet. D’ailleurs à l’AAMF, c’est ce que nous faisons, via notamment nos associations régionales qui sont très actives sur le terrain. Aujourd’hui, on constate une forme de stabilisation de la biomasse sur les territoires qui permet de pouvoir piloter sereinement son projet de méthanisation, ses intrants, sa taille, sa durabilité. Ce cadre de durabilité est très important, c’est lui qui va nous permettre par exemple de définir les conditions de collecte et de production des cultures à vocation énergétiques (cives) et des effluents en amont des projets pour assurer leur viabilité.
« Il y a une plus grande implication des élus locaux et des collectivités qui accompagnent le développement des projets au niveau local, créant un climat de confiance entre tous les acteurs du territoire.«
Vous évoquez souvent l’importance de la décarbonation dans les fermes, quel en est l’enjeu ?
La méthanisation permet de défossiliser le gaz et participe à la décarbonation de l’agriculture. C’est une réponse concrète à apporter aux territoires et aux agriculteurs. Cela signifie qu’il faut raisonner en valeur carbone à l’échelle d’un écosystème et pas uniquement dans un spectre financier ou réglementaire. En réalité nous parlons d’une question sociétale, à savoir la valeur que nous donnons à tous ces sujets autour de la décarbonation alors que nous avons été biberonnés à des énergies fossiles abondantes et peu chères. Quand j’entends que le biogaz coûte cher, oui il coûte plus cher à produire que du gaz fossile, c’est une réalité mais voyons aussi tout ce qu’il génère en externalités pour l’agriculture, les citoyens et les territoires. Il faut aussi que la société accepte la réalité : une société bas carbone est une société qui va coûter plus chère. Cette transition aura un coût. Ce n’est sûrement pas assez dit.
Quels sont les leviers pour baisser les coûts de production du biométhane ?
Il faut davantage standardiser et rationaliser. La méthanisation « à la française » est basée sur beaucoup d’adaptabilité et souvent spécifique à chaque porteur de projet, ce qui rend plus difficile la standardisation et la baisse des coûts. À l’AAMF, nous travaillons sur ce sujet, pour standardiser et rationaliser un certain nombre de briques sur un site de méthanisation, créer davantage de liens avec les constructeurs, avec les entreprises qui assurent la maintenance des sites pour optimiser les coûts de production. C’est une piste, ce n’est pas la seule. Ce qui est intéressant aussi à regarder, c’est comment cette filière contribue à l’attractivité et à la réindustrialisation des territoires ruraux. Dans un baromètre publié récemment, on se rend compte que c’est une filière qui créé beaucoup de valeur ajoutée au niveau local et qui répond à une logique souveraine. Donc oui, elle a un coût, oui nous avons un devoir de transparence et de pédagogie mais pour cela nous avons aussi besoin de visibilité et d’un accompagnement stable et pérenne de l’État, pour l’injection comme pour la cogénération.