« L’acier est un sujet de souveraineté nationale » selon ArcelorMittal France

L’acier européen est menacé par le coût trop important de l'énergie sur le Vieux Continent ainsi que par la surproduction chinoise d'acier, le niveau élevé d'importations à bas coût et le manque de demande intérieure. ©Shutterstock

Publié le 22/01/2025

6 min

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« Tous les sites européens d’acier sont à risque » de fermeture en 2025 si rien n’est fait pour protéger la sidérurgie européenne, a déclaré ce 22 janvier le président d’ArcelorMittal France, Alain Le Grix de la Salle, lors d’une audition à la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, évoquant « une crise profonde » de l’industrie européenne de l’acier mais soulignant « un enjeu de souveraineté nationale » . En France, l’entreprise emploie plus de 15 000 salariés et une quarantaine de sites de production et de transformation sur nos territoires, du nord au sud de l’Hexagone.

Par la rédaction, avec AFP

 

« La sidérurgie en Europe est en crise (…). Je ne peux pas aujourd’hui prendre le moindre engagement (…), les sites, quels qu’ils soient, sont tous à risque en Europe et donc en France aussi« , a souligné le dirigeant devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale française, en réponse à un député qui lui demandait s’il pouvait prendre l’engagement qu’aucune autre usine d’ArcelorMittal ne serait fermée en France en 2025. Le président d’ArcelorMittal France, qui a pris ses fonctions il y a trois mois, a peint un tableau très noir de la crise de l’acier en Europe, menacé par le coût trop important de l’énergie sur le Vieux Continent ainsi que par la surproduction chinoise d’acier, le niveau élevé d’importations à bas coût et le manque de demande intérieure.

Un niveau « excessif » d’importations

 « La sidérurgie en Europe et donc en France est entrée dans une crise importante et grave. Les surcapacités mondiales sont un phénomène structurel qui va durer. Ces surcapacités représentent actuellement 550 à 600 millions de tonnes de production annuelle, soit quatre à cinq fois la production de l’Europe » a-t-il énuméré. Pour référence, sur le quatrième trimestre de 2024, elles ont atteint 30 %. Un tiers du marché européen est servi par des aciers importés. « Pour ne parler que de la Chine, elle a exporté 100 à 120 millions de tonnes l’année dernière. C’est l’équivalent de toute la consommation européenne. » Et de nombreux pays à l’image des États-Unis se protègent et ferment leurs frontières avec des tarifs douaniers. « Aux États-Unis, la part des importations dans la consommation des aciers plats a diminué de 25 % en 10 ans, quand en Europe, durant la même période, elle a augmenté de 65 %. Reste l’Europe. L’acier voyage. Nous ne sommes pas contre les importations. Nous demandons à ce qu’elles soient limitées et qu’elles n’aient pas un effet dévastateur sur nos industries comme actuellement. Nous demandons des conditions de concurrence loyale, notamment concernant le coût du CO2

Un coût du carbone non-incitateur

Autre problématique, le coût du carbone avec un mécanisme d’ajustement en carbone aux frontières, le MACF, « qui n’est pas assez efficace » et qui, dans la situation actuelle, « ne protégera pas assez les industries en Europe ».  « Nous avons besoin en Europe d’un cadre et de règles qui puissent nous permettre d’opérer dans des conditions de concurrence loyales » indique le président d’ArcelorMittal, évoquant un coût du CO2 pour un producteur basé en Europe « équivalent à 10 % du prix de vente de son acier ». En 2030, ce sera 25 %. Mais dans le même temps, les producteurs d’acier chinois, par exemple, ne portent pas ce coût de CO2. « Leur acier arrive en Europe à des niveaux de prix inférieurs à nos prix de revient. C’est une concurrence déloyale. Sans des mesures urgentes et concrètes, nos investissements en matière de décarbonation ne peuvent pas être décidés. »

Une énergie non compétitive en Europe

L’explosion des coûts de l’énergie en Europe a conduit une perte de compétitivité de l’ensemble des industries européennes. « Cette crise nous impacte bien évidemment, mais également nos clients » indique  Alain Le Grix de la Salle. « Les coûts de l’énergie en Europe sont parmi les plus élevés dans le monde. Pour le gaz, par exemple, ils sont quatre à cinq fois plus élevés qu’aux États-Unis. » En décembre, le patron de l’Agence internationale de l’énergie estimait que l’industrie européenne arrivait « à un point de bascule », Fatih Birol évoquant un coût de l’énergie en Europe particulièrement élevé« Les prix du gaz naturel sont cinq fois supérieurs en Europe qu’aux États-Unis et l’électricité est trois fois plus chère en Europe qu’en Chine » soulignait-il. À cela s’ajoute également la conséquence : la chute de la demande d’acier en Europe et notamment en France, « de l’ordre de 4 % par an en moyenne, soit 20 % au minimum sur les cinq dernières années » indique l’industriel qui demande que le tissu industriel en France soit davantage soutenu, de façon à créer la demande.

De lourdes conséquences sociales

« Si l’Europe ne décide pas de protéger son marché de la concurrence déloyale, alors ce sont des pans entiers de notre industrie qui vont disparaître à brève échéance. Ce n’est pas du catastrophisme, c’est malheureusement la réalité pure et simple, » a lancé le responsable. « La liste des restructurations lourdes et des fermetures en Europe s’allonge« , a-t-il alerté, en citant notamment le groupe allemand Thyssenkrupp, concurrent d’ArcelorMittal, qui prévoit de supprimer « 11 000 emplois d’ici 2030, soit 40 % de ses effectifs« . En France, le groupe ArcelorMittal a annoncé fin novembre la fermeture au printemps 2025 de deux petites usines à Reims (Marne) et Denain (Nord), qui emploient 135 personnes au total, ainsi que 28 suppressions d’emplois supplémentaires à Valence et Strasbourg. Néanmoins, globalement, les effectifs en France de 15 400 salariés « n’ont pas bougé » depuis 2019, alors que le marché « a baissé de 15 %« , a signalé Alain Le Grix de la Salle.

ArcelorMittal a suspendu fin 2024 ses plans d’investissement dans la décarbonation en Europe, notamment à Dunkerque où il avait prévu d’investir 1,8 milliard d’euros avec une aide d’État de 850 millions d’euros. En fonction de mesures de soutien européennes attendues sur l’acier, le groupe espère pouvoir prendre sa décision d’investissement durant le deuxième ou le troisième trimestre. « Nous attendons le plan acier pour début mars.«