Le PDG d’EDF Luc Rémont démis de ses fonctions

Publié le 24/03/2025
9 min
Luc Rémont ne poursuivra pas sa mission à la tête d’EDF a fait savoir l’Élysée le 21 mars. La décision d’écarter l’actuel PDG d’EDF Luc Rémont n’est pas une « sanction », mais traduit la volonté de l’État de choisir « un profil industriel spécialiste du nucléaire » a indiqué vendredi une source gouvernementale. L’Élysée avait fait savoir qu’il proposait le directeur général de Framatome, Bernard Fontana, pour lui succéder.
Par la rédaction, avec AFP
Après plusieurs semaines de tensions entre le désormais ex-patron d’EDF, Luc Rémont et le gouvernement, le couperet est tombé : Luc Rémont, dont le mandat d’administrateur arrivait à l’échéance à l’été, n’est pas renouvelé à son poste. Une information révélée par Contexte avant d’être officialisée par l’Élysée. Luc Rémont avait été nommé en novembre 2022 pour redresser la production nucléaire du groupe, très lourdement endetté et confronté à une crise de la corrosion sans précédent, tout en conduisant la relance du programme de construction d’au moins six réacteurs nucléaires. Emmanuel Macron prévoit de le remplacer par le directeur général de Framatome Bernard Fontana, pour conduire le chantier pharaonique de la relance du nucléaire. Cette nomination surprise pourrait intervenir sans attendre le terme du mandat d’administrateur de Luc Rémont. Elle doit encore être approuvée par les commissions intéressées à l’Assemblée et au Sénat.
« Un choix pour projeter EDF vers l’avenir«
Bernard Fontana, « c’est le patron de Framatome, c’est-à-dire ceux qui ont joué un rôle dans la filière nucléaire très important. C’est un industriel, c’est-à-dire qu’il a l’habitude de diriger des équipes, d’accélérer des chantiers, et donc le choix qui a été fait, c’est un choix pour projeter EDF vers l’avenir », a déclaré le Premier ministre François Bayrou, en marge de la visite d’une usine du groupe d’armement franco-allemand KNDS à Bourges. Bernard Fontana dirige l’entreprise française Framatome, fournisseur d’équipements, de services et de combustible pour l’industrie nucléaire depuis septembre 2015.
« Maîtrise des coûts et du calendrier«
Le non-renouvellement du mandat de Luc Rémont intervient quelques jours après un conseil de politique nucléaire (CPN), réuni lundi par le président. L’État avait alors sommé EDF « d’amplifier les actions de maîtrise des coûts et du calendrier » du programme nucléaire, un chantier pharaonique, sur des dizaines d’années, synonyme de gros investissements, selon un communiqué diffusé par l’Élysée suite à la rencontre. À l’issue de ce CPN, l’Élysée a officialisé le décalage de la mise en service du premier des réacteurs EPR2 à 2038, au lieu de 2035, comme annoncé par Emmanuel Macron en 2022, même si l’horizon 2037 était déjà évoquée dans un audit gouvernemental. L’objectif pour l’État est d’accélérer et d’éviter la répétition d’un scénario à la Flamanville, le chantier de l’EPR normand émaillé d’aléas techniques qui ont fait déraper les coûts et le calendrier. « Nous avons fait le point sur les enjeux industriels et nous avons eu l’occasion de pointer la nécessité d’une maîtrise des coûts, mais aussi d’une maîtrise organisationnelle des délais de la part d’EDF dans la mise en œuvre de ce programme« , a souligné le ministre chargé de l’Industrie au Sénat mercredi, au sujet de ce conseil de politique nucléaire. L’Élysée avait souligné lundi que l’État comptait « finaliser dans les prochaines semaines les discussions entre l’État et EDF » pour « initier rapidement les échanges avec la Commission européenne » dont le feu vert est indispensable pour lancer une « décision finale d’investissement d’EDF en 2026« .
Des tensions accrues avec les énergo-intensifs
Dès son arrivée à la tête de l’électricien, Luc Rémont s’est employé avec force à défendre les intérêts de l’entreprise repassée à 100 % sous le giron de l’État, pour qu’elle redevienne rentable afin de dégager les ressources nécessaires à la relance du nucléaire. En 2023 et 2024, le groupe public a redressé sa production nucléaire et hydraulique, tournant la page de l’annus horribilis 2022 marquée par des niveaux historiquement bas liés à des problèmes de corrosion dans des centrales nucléaires et à la sécheresse affectant des barrages. Depuis plus d’un an, ses relations avec ses plus gros clients, les industriels français, se sont très fortement dégradées. Critiqué pour des prix de l’électricité jugés trop élevés, il s’est aussi attiré les foudres de l’État soucieux d’éviter une désindustrialisation. Ces dernières semaines, les tensions s’étaient encore intensifiées avec l’annonce début mars de la mise en place de contrats d’achat d’électricité nucléaire à long terme via un système d’enchères à l’échelle européenne. Choix qui a provoqué la colère du gouvernement, des industriels mais aussi d’anciens ministres comme Roland Lescure, estimant qu’EDF ne respectait pas l’accord conclu avec l’État en novembre 2023. Une quarantaine de parlementaires se demandaient dans un tribune publiée la semaine dernière si l’entreprise publique pourrait faire le choix de priver l’industrie française de la rente nucléaire ? « Comment accepter qu’une entreprise créée en 1946 comme un service public national en arrive à prendre une décision aussi radicale exposant ses clients industriels et notre tissu industriel français, porteurs de centaines de milliers d’emplois dans les territoires, à de lourdes conséquences économiques dans une géopolitique mondiale particulièrement incertaine ? » interrogeaient les signataires de cette tribune initiée par le député du Rhône et président du Conseil supérieur de l’énergie, Jean-Luc Fugit.
« Pas de leçon de patriotisme industriel à recevoir«
Luc Rémont a défendu son bilan en faisant valoir une « baisse massive des prix » et le redressement de l’entreprise dans une interview dimanche au Figaro. Il a regretté l’engagement « pas suffisant » de l’État pour le financement de la relance du nucléaire, un sujet prioritaire qui pourrait expliquer la nomination de son successeur. « Ma mission est terminée, mais même si elle n’a duré que 28 mois cela reste pour moi la mission d’une vie« , résume Luc Rémont en étalant ses divergences avec l’État actionnaire, dont il constate « une dégradation » dans la capacité à « concevoir le changement (…), à prendre des décisions et à tenir sa parole ». Il se félicite d’avoir redressé EDF dont la production d’électricité a progressé de 30 % tandis que les prix ont baissé. « Nous nous sommes engagés à proposer des contrats de long terme, au prix le plus bas possible, dans un environnement concurrentiel. Cela ne veut pas dire à n’importe quel prix« , a-t-il dit, en référence aux contrats d’électricité nucléaire au coeur de négociations très tendues avec les grands industriels, qui ont jugé leur prix trop élevé. Réagissant au commentaire du patron du groupe Saint-Gobain accusant EDF de faire « un bras d’honneur à l’industrie française » avec des tarifs prohibitifs, Luc Rémont juge n’avoir « pas de leçon de patriotisme industriel à recevoir« . « EDF est le premier investisseur industriel en France (…). Mais une entreprise publique n’est pas là pour faire des subventions à un petit club privé. Nous avons pris des engagements très forts fin 2023 pour sortir d’un schéma qui tuait l’entreprise« , a-t-il ajouté, évoquant le système dit « Arenh », imposant à EDF de céder à des concurrents, distributeurs ou industriels électro-intensifs (gros consommateurs) des quotas d’électricité à bas prix. Si les ventes aux enchères étaient vues d’un mauvais oeil par l’exécutif, « c’est une demande explicite des autorités de concurrence et de régulation. Je ne vois pas en quoi se mettre en conformité avec le droit est une provocation« , dit Luc Rémont, ajoutant que les enchères portent « sur moins de 3 % de la production nucléaire« . Il a enfin regretté « un effort certes important [de l’État, pour le financement des nouveaux réacteurs, NDLR], sous la forme d’une garantie de prix de l’électricité et d’un prêt bonifié », mais « pas suffisant » donc, pour la relance du nucléaire. « J’ai demandé des choses simples : un prêt d’État non bonifié, pour limiter le volume des émissions obligataires d’EDF. J’ai aussi souhaité un pacte de confiance sur les prélèvements de l’État sur EDF (…). Je n’ai pas été entendu », a-t-il conclu.
Les industriels souhaitent un accord « avant l’été«
Les industriels gros consommateurs d’électricité ont formé le vœu de parvenir « avant l’été » à un accord sur le prix de l’électricité avec EDF. « Fixons-nous une date, atterrissons avant l’été, je pense que ce n’est pas incommensurable, ce n’est pas inaccessible », a déclaré le 24 mars Nicolas de Warren, président de l’association réunissant les industriels gros consommateurs d’énergie (Uniden), invité de BFM-Business, qui qualifiait de « très légitime » l’inquiétude exprimée par le PDG de Saint-Gobain le 20 mars, compte tenu de l’exposition de ces industries de l’acier, de la chimie, ou de la construction à la concurrence internationale « déchaînée » de la Chine et des États-Unis, sur fond de relance de la guerre commerciale. « Nous devons retrouver et maintenant achever ces discussions« , lesquelles « ont commencé il y a trop longtemps« , a ajouté M. de Warren, soulignant que l’absence de résultats mettait en veille les « projets de décarbonation » et d’investissements des industriels. « L’écart qui nous sépare d’un accord n’est pas si important que ça« , a-t-il assuré, soulignant par ailleurs que les volumes d’électricité nécessaires aux électro-intensifs représentent « moins de 5 % de la production française« . « Il y a un partage de la valeur à trouver » entre le groupe EDF et les industriels, « parce qu’EDF a besoin de notre consommation en base, nous avons besoin de la production en base d’EDF« .