« L’énergie, c’est l’ADN du projet politique européen »

Publié le 23/10/2024

7 min

Publié le 23/10/2024

Temps de lecture : 7 min 7 min

Après plusieurs années au porte-parolat de la Commission européenne en France, Adina Revol revient dans un livre, « Rompre avec la Russie, le réveil énergétique européen » publié aujourd’hui aux éditions Odile Jacob, sur la relation énergétique de l’Union européenne avec la Russie. Confrontée à de multiples crises depuis 2006, l’Union de l’énergie est devenue «  concrète » depuis 2022 selon Adina Revol qui explique dans son ouvrage la manière dont l’Union européenne se défie progressivement de sa dépendance aux hydrocarbures russes et construit les clés de sa résilience énergétique et industrielle. Et si le chemin sera « long et difficile », cette européenne convaincue se dit « confiante » sur la capacité de l’UE à y parvenir.

Par Laura Icart  

 

Adina Revol se sent une « enfant de l’Europe ». Née dans un pays, la Roumanie, qui a intégré l’Union européenne en 2007. Un pays qui, s’il possède un mix énergétique « équilibré » selon un note de la direction générale du Trésor, et bénéficie d’une relative autonomie énergétique « puisqu’elle produit localement 78 % de l’énergie qu’elle consomme », demeure néanmoins dépendant d’importations, du pétrole de Russie et d’Azerbaïdjan et du gaz russe pendant les pics de consommation hivernale. Cette spécialiste de la géopolitique de l’énergie se souvient que c’est dans son pays, en janvier 2009, que l’UE est confrontée à une deuxième crise énergétique avec la Russie quand Gazprom décide de réduire, en pleine vague de froid et alors que les températures ont chuté jusqu’à moins 30 °C , les trois quarts de ses livraisons de gaz vers la Roumanie. « L’énergie a toujours été au cœur de la stratégie russe pour accroître la vulnérabilité de l’UE » confie à Gaz d’aujourd’hui Adina Revol. 

L’énergie, le socle commun historique

Si l’énergie a été oubliée pendant très longtemps des avancées importantes réalisée par l’Union européenne depuis 70 ans, « cannibalisée par la Russie qui catalyse les divisions européennes sur le sujet » estime Adina Revol, c’est oublier bien vite qu’elle était au cœur de sa création puisque la CECA, ou Communauté européenne du charbon et de l’acier établie en avril 1951, devait à la fois favoriser la coopération économique et prévenir les conflits entre les nations européennes après la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, l’assure Adina Revol, « l’énergie, c’est l’ADN du projet politique européen », qui s’est révélé avec la guerre lancée par la Russie en Ukraine en février 2022.

Un vecteur d’unité

« Nous n’avons pas été naïfs, nous avons été cupides. Notre industrie s’est beaucoup construite autour de l’énergie russe avant tout car elle n’était pas chère », affirmait en mai 2022 Margrethe Vestager, alors vice-présidente de la Commission européenne. Quelques mois plus tôt, en février, la Russie envahissait l’Ukraine et déclenchait une guerre qui dure toujours aujourd’hui et avec elle une crise énergétique sans précédent sur le continent européen et particulièrement dans l’Union européenne, mettant en exergue sa dépendance. L’Union et ses États membres importaient en 2019 27 % de pétrole et 41 % de gaz fossile de Russie. Une vulnérabilité importante mais inégale selon les États membres, qui a permis de mettre en lumière la « grande force de l’UE » selon l’autrice, « sa solidarité et son réseau d’interconnexions énergétiques opérationnels du nord au sud de l’Europe, de l’ouest à l’est ». Car si l’Union de l’énergie a mis du temps à exister dans les faits, sa réponse en quelques mois à l’agresseur russe « a été à la hauteur de ce que l’on pouvait attendre ». Depuis le début de l’année 2022, de nombreuses mesures ont été introduites, la plupart dans le plan RePowerUE, pour aider les États membres à faire face aux effets de la crise énergétique, conséquence directe d’un contexte géopolitique particulièrement incertain. Si ce contexte a évolué depuis février 2022, notamment sur le schéma d’approvisionnement en gaz avec une diversification des sources, une mise en service de plusieurs infrastructures de gaz naturel liquéfié dans plusieurs États membres et des stockages qui sont « remplis à ras bord » selon Gas Infrastructure Europe, c’est aussi parce que le Green Deal et le plan RePowerUE ont « profondément transformé le système énergétique européen » et « ont rendu l’UE plus résiliente aux crises. Si le réveil a été lent, souligne Adina Revol, la réponse a été à la hauteur », évoquant notamment la mise en place un système d’agrégation de la demande et d’achat conjoint de gaz « AggregateEU », demain d’hydrogène vert. Des achats groupés d’énergies « inenvisageables il y a encore quelques années tant l’énergie est un sujet souverain des États ».

« Nous sommes le seul continent à avoir voter  une loi climatique, une loi pour atteindre la neutralité carbone. »

Un enjeu de souveraine

Si l’UE est plus unie aujourd’hui, il n’en reste pas moins que les défis à relever sont immenses, notamment pour réussir sa transition énergétique tout en assurant sa compétitivité industrielle. Mais l’UE « est en avance » souligne Adina Revol. Avec le pacte vert « nous sommes le seul continent qui a fait une loi climatique, une loi pour atteindre la neutralité carbone ». Ce n’est « pas anecdotique », et même « ce n’est pas sans défi » rappelle-t-elle alors que la compétitivité industrielle de l’Union est clairement mise à l’épreuve par le géant chinois et que la décarbonation de l’industrie européenne sera étroitement liée à sa capacité à développer sur son sol des technologies de production renouvelables et bas carbone. Car accroître la compétitivité et la primauté industrielle de l’UE est une « absolue nécessité » pour Adina Revol. À l’heure où la Chine comme les États-Unis massifient le soutien à leurs industries et investissent des milliards dans la décarbonation des process, l’Union européenne « doit aller plus vite » pour profiter de son immense potentiel dans le domaine des technologies « zéro net » et développer notamment « davantage de partenariats publics et privés. Il faut davantage s’appuyer sur les alliances industrielles sectorielles, note Adina Revol, pour inventer les industries vertes de demain, ici, en Europe et reprendre le leadership technologique ».

 » Il faut davantage s’appuyer sur les alliances industrielles sectorielles  pour inventer les industries vertes de demain, ici, en Europe et reprendre le leadership technologique. »

L’énergie est désormais « au cœur de l’avenir et de l’unité européenne ». Elle est à la fois un « pilier », « un fondement » et un « levier d’accélération » pour réussir les multiples transitions qui attendent l’UE d’ici le milieu du siècle. Pour Adina Revol, l’UE sera « ambitieuse » et le prochain budget devra refléter cette ambition verte et donner de la visibilité à l’ensemble des acteurs économiques, combinant les multiples enjeux qui attendent notre Vieux Continent : la sécurité énergétique, la transition vers des énergies renouvelables et bas carbone, incluant des infrastructures de réseaux optimisés, la simplification normative et l’assurance d’avoir les  compétences nécessaires pour y parvenir.