Les 50 ans de l’AIE à Paris : des avancées et de nombreux défis à relever

L'ensemble des personalités présentes à Paris, réunies pour les 50 ans de l'Agence internationale de l'énergie, ont salué la "contribution significative de l'Agence à la politique énergétique et climatique mondiale." ©IEA

Publié le 15/02/2024

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Fondée en 1973 suite au choc pétrolier, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a réuni les 13 et 14 février à Paris plus d’un trentaine de ministres de l’énergie et du climat à l’occasion de ses 50 ans. Transition énergétique, suppression des émissions de CO₂, sortie des énergies fossiles, financements de l’adaptation et de l’atténuation, innovation et développement de technologies de production « propres », tels sont les vastes chantiers des États du monde, alors que tous n’avancent pas à la même vitesse ni avec les mêmes moyens. Le ministre français de l’Économie et de l’énergie Bruno Le Maire a notamment averti des risques de « nouvelles guerres commerciales »  et « de grandes divergences énergétiques » dans les stratégies de décarbonation des États, qui impactent directement la compétitivité des pays.

Par Laura Icart, avec AFP

 

Première réunion internationale de haut niveau depuis la COP28 à Dubaï en décembre, où le monde a convenu de transitionner hors des énergies fossiles, émettrices de gaz à effet de serre et responsables du réchauffement de la planète, cette rencontre d’une trentaine de ministres était organisée par l’AIE et présidée par Eamon Ryan, ministre irlandais de l’Environnement et du Climat et Bruno Le Maire. Elle est revenue sur les nombreux défis qui attendent les États et en premier lieu la sortie des énergies fossiles. « Si le monde veut développer des énergies alternatives aux énergies fossiles » qui n’émettraient plus de CO₂ réchauffant l’atmosphère comme le font actuellement le charbon, le pétrole et le gaz naturel, les investissements mondiaux (publics et privés) devront atteindre 4 500 milliards de dollars par an d’ici 2030, a souligné en préambule Eamon Ryan. Sur ce total, l’AIE estime qu' »au moins 2 200 milliards devraient être investis chaque année dans les pays émergents et en développement« . « Le rythme de la transition est encore trop lent » a souligné la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. « Si nous voulons maintenir l’objectif de 1,5 degré à portée de main, le monde doit tripler sa capacité de production d’énergie renouvelable et doubler son efficacité énergétique d’ici à 2030 » a-t-elle rappelé lors de son intervention. « L’agence est devenue l’un des acteurs les plus solides, les plus crédibles, les plus capables pour nous proposer les soutiens » face aux transformations du système énergétique, a jugé Teresa Ribera, ministre espagnole de la transition écologique, présente lors des échanges. Quand à l’émissaire américain pour le climat John Kerry, il a encouragé « l’innovation » et la « technologie » pour que la planète puisse sortir des énergies fossiles à temps et respecter ses engagements climatiques d’ici 2050.

 

« La coopération internationale sur les questions énergétiques n’a jamais cessé d’être une nécessité absolue. » 

Emmanuel Macron, président de la République française

Les grands chantiers de l’AIE

« L’AIE souhaite assurer des transitions énergétiques sûres et durables pour tous les habitants de la planète », a déclaré son directeur exécutif, Fatih Birol. La réunion a abouti à un « consensus puissant » sur la nécessité d’une « action plus audacieuse » et d’une coopération mondiale « accrue » pour « transformer rapidement » le système énergétique mondial, alors que l’incertitude géopolitique s’accroît et que les températures mondiales continuent de battre des records. Malgré cela, l’Agence estime qu’il est toujours possible de limiter la hausse à 1,5 degré. Plusieurs accords ont été passés lors cette réunion, dans la lignée des décisions prises lors de la COP28 et des objectifs mondiaux pour 2030 – alignés sur l’objectif de l’accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C –,  à savoir l’abandon des énergies fossiles, le triplement des capacités des énergies renouvelables, alors que le monde a ajouté 50 % de capacité renouvelable supplémentaire en 2023 (soit un rythme « inédit » selon l’AIE), le doublement des progrès en matière d’efficacité énergétique et la réduction des émissions de méthane. Dans un communiqué commun, les ministres membre de l’AIE représentant aujourd’hui près de 80 % du PIB mondial ont salué le travail de l’AIE, notamment lors de la dernière COP, et la nécessaire poursuite son travail d’étude et d’analyse des politiques publiques « en identifiant les obstacles au progrès et en fournissant à ses membres et à la communauté mondiale des recommandations sur la manière d’accélérer nos transitions nationales vers une énergie propre et sûre ». « La coopération internationale sur les questions énergétiques n’a jamais cessé d’être une nécessité absolue », a déclaré le président français Emmanuel Macron aux participants dans un message vidéo. « Nous sommes également très fiers que, depuis sa création, l’agence ait pu modifier profondément son mandat. D’une agence dédiée à la gestion des réserves stratégiques de pétrole, elle est devenue un centre mondial de débat et d’action collective pour relever le défi de la transition énergétique. » Outre la décarbonation des économies mondiales, l’AIE devrait également concentrer ses travaux sur la sécurité des minéraux critiques pour renforcer la sécurité des chaînes d’approvisionnement pour les minéraux cruciaux nécessaires aux technologies de production d’énergie dite « propre ». Autre sujet majeur pour l’agence : l’accès à l’énergie, alors que plus que de 745 millions de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité dans le monde, principalement en Afrique subsaharienne, et que près d’un tiers de la population mondiale recourt encore à des modes de cuisson délétères pour la santé et l’environnement. « Nous avons l’intention d’intensifier nos efforts pour que la justice énergétique reste une priorité mondiale, étant donné le rôle essentiel qu’elle joue dans la construction d’un meilleur avenir énergétique » a conclu Fatih Birol.

 

 

« L’ancienne économie des combustibles fossiles repose sur des dépendances. La nouvelle économie de l’énergie propre repose sur les interdépendances. »

Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne 

John Kerry encourage « l’innovation » et la « technologie » pour sortir des énergies fossiles

L’émissaire américain pour le climat John Kerry a encouragé mardi « l’innovation » et la « technologie » pour que la planète puisse sortir des énergies fossiles à temps et respecter ses engagements climatiques d’ici 2050. Le réchauffement climatique « est en train d’arriver, c’est garanti« , a lancé M. Kerry.  Face à ce défi, le monde de l’énergie est encore trop dans le business as usual et doit évoluer vers plus « d’innovation » et de « technologie« , a-t-il enjoint. « Nous devons déployer les technologies existantes et rentables aussi vite que possible et nous devons amener sur le marché de nouvelles technologies plus vite que nous ne le faisons actuellement« , a jugé M. Kerry, faisant allusion à toutes les innovations permettant d’économiser l’énergie, de réduire les émissions de CO₂ et de sortir des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz) qui réchauffent le climat. « Pourquoi ? Parce que cette année il fait plus chaud que l’an dernier, et que l’an prochain il fera plus chaud que cette année. »  « Même s’il y a eu une énorme augmentation des énergies propres comme l’éolien et le solaire, cela n’est pas suffisant pour atteindre les objectifs fixés pour 2050« , a ajouté Fatih Birol. « Nous devons soutenir des technologies qui ne sont pas encore sur le marché et l’industrie qui les produit« . Le directeur de l’AIE estime que le marché mondial de l’industrie des énergies dites « propres » s’élèvera à 1 000 milliards de dollars d’ici 10 ans et appelle les gouvernements à investir dans l’innovation.

Agir comme « comme une seule communauté énergétique mondiale »

Pour réussir cette transition, « nous devrons mobiliser le secteur privé et nous travaillons actuellement à intensifier notre dialogue avec lui » a souligné la présidente de la Commission. « Nous devrons travailler avec les économies en développement afin qu’elles puissent attirer les investissements dont elles ont besoin », la présidente précisant que, dans de trop nombreuses régions du monde, « le coût des énergies renouvelables et le coût du capital pour les énergies renouvelables sont encore prohibitifs ». Ursula von der Leyen a appelé à davantage d’unité au niveau mondial : « L’énergie propre peut être produite n’importe où. Mais elle nécessite des investissements, des infrastructures, de l’innovation ainsi que des matières premières. Notre compétitivité économique dépend de cette combinaison complexe de facteurs. »

« Un risque de divergence énergétique accrue »

Bruno Le Maire, qui est intervenu dans le cadre d’une table ronde sur une transition énergétique sûre et juste, a souhaité lancé un « message d’alerte » sur le risque « de grande divergence énergétique entre des nations, entre ceux qui accélèrent pour la transition climatique, qui décarbonent leurs activités avec un coût financier très élevé, et d’autres qui continueraient à utiliser des énergies fossiles  ». Le ministre de l’Économie, qui a récupéré le portefeuille énergétique, s’est maintes fois exprimé sur la nécessité de mettre les nations au même niveau d’exigence environnementale pour ne pas entraver leur compétitivité. Il avait d’ailleurs plaidé en décembre dernier pour avoir systématiquement 60 % de « contenu européen » dans les technologies de décarbonation, afin de résister aux produits moins coûteux venus notamment de Chine. « Il ne s’agit pas de faire du protectionnisme mais de rééquilibrer les coûts de production en tenant compte du coût environnemental » soulignait-il. Ce 13 février à Paris, il a appelé les États à une réponse « coordonnée », avec notamment la volonté d’établir « une équité commerciale ». Bruno Le Maire en a profité pour saluer le travail de l’Union européenne qui vient tout juste d’adopter son Net Zero Industry Act et de nouvelles ambitions climatiques puisqu’elle vise désormais une baisse des émissions de gaz à effet de serre de 90 % d’ici à 2040.

Les membres de l’AIE ont également annoncé le début des discussions avec l’ Inde qui souhaite avoir un rôle plus important au sein de l’agence. « Un pays particulièrement stratégique pour relever les défis mondiaux en matière d’énergie et de climat » ont souligné les ministres. Le pays  est le quatrième plus gros émetteur de gaz à effet de serre, derrière la Chine, les États-Unis et l’Union européenne. Si le Premier ministre Narendra Modi s’est engagé à atteindre le zéro émission nette d’ici à 2070 et affiche l’objectif de devenir un leader mondial dans la production d’hydrogène, l’Inde devrait toutefois continuer à être fortement dépendante du charbon et du pétrole pour faire face aux besoins d’une population qui ne cesse d’augmenter.