L’or vert des agriculteurs

Publié le 21/07/2018

7 min

Publié le 21/07/2018

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Produire de l’énergie à partir des déchets de sa ferme, c’est la grande fierté de certains agriculteurs français qui, pionniers en leur temps, ont lancé avec les acteurs du monde énergétique la méthanisation à la ferme, gisement d’un nouvel or, vert cette fois : le biométhane. Entre crise agricole et verdissement du gaz, la méthanisation est désormais considérée par les agriculteurs comme par les gaziers comme un moyen fiable pour répondre aux ambitions françaises en matière de transition énergétique mais surtout pour diversifier les revenus des exploitants agricoles. État des lieux.

Par Laura Icart

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme »: depuis longtemps les agriculteurs se sont appropriés cette  célèbre maxime du chimiste Antoine de Lavoisier. Elle se vérifie encore aujourd’hui avec l’essor de la méthanisation dans les exploitations agricoles. Ce processus biologique qui mène à la formation de biogaz et de biométhane dans sa version épurée par fermentation des effluents d’élevage se prépare à transformer durablement le monde énergétique et le monde agricole.

Le 26 mars dernier, le secrétaire d’État à la Transition écologique et solidaire, Sébastien Lecornu, a annoncé quinze mesures pour simplifier les procédures et permettre à notre de pays de rattraper son retard en Europe. Parmi elles, un délai d’instruction abaissé d’un an à six mois, la fin des enquêtes publiques et des études d’impact pour les projets de moins de 1 MWh et l’harmonisation du tarif d’achat du gaz réinjecté dans le réseau.

Verdir le gaz

Si la France ne consomme aujourd’hui que 1 % de gaz renouvelable, la loi de transition énergétique fixe un objectif de 10 % (30 TWh) en 2030. Au regard du développement des sites et avec plus 400 projets à l’étude, les réservations de capacités s’élèvent déjà à plus 8 655 GWh par an, soit l’objectif initialement fixé par la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) en 2023. Les gestionnaires d’infrastructures gazières, le SER et la FNSEA envisagent d’atteindre 50 TWh en 2028, avec un potentiel de 30 % de gaz renouvelable en 2030. La dernière étude prospective menée en janvier 2018 par l’Ademe montre que le gisement techniquement exploitable pourraient couvrir les besoins de gaz en France à horizon 2050. Parce que plus de 90 % du gisement méthanisable dans notre pays provient directement des fermes, les agriculteurs sont particulièrement concernés et ils le seront encore plus dans les années à venir. GRDF parle de 15 % des agriculteurs français, soit près de 50 000 exploitants agricoles.  

Pour la petite histoire…

Depuis le début des années 2000, la méthanisation agricole suscite un véritable intérêt en France. Si les premières études de faisabilité technologiques et économiques avaient été réalisées au milieu des années 70, c’est seulement à partir de 2003 que des unités de méthanisations se sont développées en cogénération. Un développement qui s’est accéléré en 2006. Le pays comptait alors six méthaniseurs agricoles. En 2011, quand les tarifs de rachat de l’électricité produite à partir du biogaz ont été réévalués, une trentaine d’installations étaient recensées. Cette même année, suite à l’adoption de la loi Grenelle 2, la France autorise les producteurs de gaz n’ayant pas une fonction de fournisseur à injecter du biogaz dans le réseau. Les pouvoirs publics mettent alors en place un tarif d’achat : un producteur qui injecte du biométhane chez un fournisseur est assuré de le vendre à un tarif fixé par arrêté et pour une durée de quinze ans. En 2012, un premier site en Seine-et-Marne injecte dans le réseau de GRDF et lance définitivement l’Hexagone dans la méthanisation agricole, lui qui a tant de potentiel.

Un potentiel énorme pour l’avenir

Terre agricole par excellence, plus de la moitié des sols de notre territoire est utilisée à des fins agricoles. La France possède ainsi l’un des potentiels méthanogènes les plus prometteurs d’Europe au vu de la disponibilité des gisements. Les agriculteurs, et particulièrement les éleveurs, sont en crise depuis de nombreuses années (prix du lait, directive « nitrate »…), ce qui les oblige à repenser la gestion de leurs exploitations et à diversifier leurs activités. L’arrivée de la méthanisation à la ferme, à travers des projets individuels ou collectifs, présente de nombreux avantages (compléments de revenus, capacité de stockage supplémentaire, digestat…). Nombre d’agriculteurs nous l’ont confirmé, tout comme ils ont aussi tenu à nous dire que l’élevage reste leur cœur de métier : diversifier leurs sources de revenus leur permettra dans un contexte compliqué de pérenniser leurs activités.

Un modèle de méthanisation à la française ?

La France, contrairement à certains de ses voisins, a pour le moment fait le choix de ne pas faire des cultures dédiées. Un modèle moins rémunérateur que celui de l’Allemagne par exemple, qui s’appuie sur les déchets agricoles et territoriaux et dans certains cas sur des cultures intermédiaires pour produire du biométhane. Un modèle qui suit également des principes d’agriculture plus durable. L’utilisation de ce nouvel engrais, le digestat, plus riche en azote assimilable, permet une diminution voire une suppression dans certains cas de l’usage des engrais chimiques par les agriculteurs. Une solution qui s’appuie enfin sur le développement de cultures intermédiaires favorisant le stockage du carbone dans le sol.

Créer une filière française d’excellence

« Les technologies nécessaires à l’injection sont aujourd’hui au point. Le monde agricole se structure autour de projets de méthanisation. Nous entrons dans une phase d’industrialisation », a déclaré le 10 juin Alain Mille, directeur du développement de GRDF à l’occasion d’une rencontre avec la presse. Et il est vrai que l’ouverture de deux à trois unités de méthanisation chaque mois depuis le début de l’année va pleinement dans ces sens. En juillet, la France comptait 59 sites de production de biométhane raccordés aux réseaux gaziers (37 d’origine agricole), dont 51 sur le réseau de GRDF, pour une capacité maximale installée de l’ordre de 684 GWh, soit l’énergie nécessaire selon GRDF pour chauffer près de 57 002 foyers ou faire rouler près de 2 672 bus. Sur les 18 sites mis en service depuis le 1er janvier, 17 sont des méthanisations à la ferme. Trois régions, Grand-Est, Hauts-de-France et Île-de-France (qui a d’ailleurs la particularité de n’avoir que des sites agricoles), concentrent 50 % des capacités installées au 31 mars 2018 et 53 % des injections sur le début d’année. La France compte aussi 389 sites de méthanisation à la ferme en cogénération sur les 567 du parc actuellement en fonctionnement.

Si la méthanisation n’est pas la solution à la crise agricole, elle peut tout de même être considérée comme une réponse aux difficultés rencontrées par le monde paysan. Jamais celui-ci et le monde gazier n’ont semblé aussi proches ces derniers mois, multipliant les partenariats et les annonces. Le dernier en date : la création de France gaz renouvelables, le nouvel acteur chargé de porter la voix de la  méthanisation auprès de pouvoirs publics.

©GRDF