Diversification, prévisibilité, coopération : la feuille de route de l’AIE

Face aux multiples chocs énergétiques récents et à la transformation rapide du paysage mondial, le Sommet de Londres explore de nouvelles stratégies pour renforcer la sécurité énergétique. Résilience des réseaux électriques, diversification grâce aux technologies propres, sécurisation des chaînes d’approvisionnement en minerais critiques et coopération internationale ont été au cœur des discussions. ©IEA

Publié le 26/04/2025

6 min

Publié le 26/04/2025

Temps de lecture : 6 min 6 min

Réunis les 24 et 25 avril à l’initiative de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et du gouvernement britannique, les représentants de 60 gouvernements et plus de 50 grandes entreprises énergétiques étaient réunis à Londres. Fondée en 1974 après le premier choc pétrolier pour sécuriser les approvisionnements énergétiques des pays de l’OCDE, l’AIE revient à son thème fondateur, désormais ravivé par les conflits récents et une géopolitique mondiale bouleversée. Objectif : faire évoluer une approche « classique » de la sécurité énergétique vers un modèle « plus coopératif ».

Par la rédaction, avec AFP

 

Les représentants d’une soixantaine de pays et d’une cinquantaine d’entreprises planchent depuis jeudi sur l’avenir de la sécurité énergétique, au moment où le monde est secoué par les conflits en Ukraine et au Proche-Orient, les droits de douane américains, ainsi que le climato-scepticisme du président américain Donald Trump. La Chine, l’Arabie saoudite ou la Russie ne sont cependant pas représentées, tandis que les États-Unis n’ont envoyé que des secrétaires d’État adjoints par intérim à ce sommet, co-présidé par le Royaume-Uni. « Ce sommet montre que si la nature de la sécurité énergétique change, le besoin de coopération internationale reste constant », a souligné Fatih Birol, le directeur exécutif de l’AIE. « Nous entrons dans une nouvelle ère de la sécurité énergétique », a-t-il affirmé, appelant à poursuivre des solutions communes, qu’elles soient techniques, politiques ou financières. « La sécurité énergétique est une question de sécurité nationale. C’est donc un devoir fondamental du gouvernement » souligne de son côté Keir Starmer, le Premier ministre du Royaume-Uni, hôte du sommet.

Un sommet sous tension

Les États-Unis ont fustigé les politiques hostiles aux énergies fossiles, les qualifiant de « néfastes et dangereuses« , au premier jour du sommet de l’AIE sur la sécurité énergétique, à Londres, s’opposant fermement aux pays favorables aux renouvelables. « Certains veulent réglementer toutes les formes d’énergie, sauf les soi-disant renouvelables, jusqu’à leur disparition complète, au nom de la neutralité carbone. Nous nous opposons à ces politiques néfastes et dangereuses », a déclaré Tommy Joyce, secrétaire adjoint par intérim à l’Énergie pour les affaires internationales. Une critique à peine voilée de l’administration Trump sur la politique de l’AIE, devenue boussole de la transition énergétique : en 2021, l’AIE avait surpris le monde et ulcéré les pétroliers en affirmant qu’il fallait renoncer immédiatement à tout nouveau projet hydrocarbure face au réchauffement climatique. Fatih Birol, qui a reconnu le pétrole et le gaz comme « des éléments clés (du) mix énergétique », a ajouté qu’ils « le resteront dans les années à venir », allant à rebours des prévisions de son agence qui annonçait en 2023 un pic de la consommation d’énergies fossiles avant 2030. Il a aussi souligné que l’essor exponentiel des énergies bas carbone faisait naître « un nouveau défi » : l’approvisionnement en métaux critiques indispensables à la transition énergétique, mais qui se trouvent principalement en Chine. Près de 40 ans après le premier choc pétrolier, « ces dernières années nous ont montré que la sécurité énergétique ne doit pas être considérée comme acquise », a-t-il poursuivi dans son discours d’ouverture.

Trois « règles d’or »

Face aux menaces, trois « règles d’or » doivent être garanties, selon Fatih Birol : la « diversification » des sources d’énergie, la « prévisibilité » des politiques et une « coopération » entre les États. Les investissements dans l’énergie sont le plus souvent gigantesques et pensés à long terme. Or, « si les politiques ne sont pas prévisibles, si elles changent d’un jour à l’autre, cela crée de l’incertitude » et donc « un problème majeur pour les investisseurs », a-t-il déclaré, au moment où la politique de Donald Trump plonge marchés et pays dans la fébrilité. Dans un monde fragmenté, Fatih Birol et Ed Miliband ont aussi appelé à plus de « coopération » et au « multilatéralisme« . De manière inattendue, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) avait salué mercredi la tenue de ce sommet, jugeant « positif de voir l’AIE se recentrer sur la sécurité énergétique« , son « objectif fondamental ». Le cartel, qui avait qualifié la sortie des énergies fossiles de « fantasme« , reproche à cette agence de l’OCDE, qui réunit les pays développés, de promouvoir des scénarios de neutralité carbone « irréalistes, sans tenir compte de la sécurité énergétique, de l’accessibilité financière ou de la faisabilité » de ces objectifs.

« La sécurité énergétique, ce n’est plus seulement du pétrole ou du gaz. C’est du stockage, du nucléaire, du renouvelable. C’est un tout. »

                                                                                                           Marc Ferracci, Londres 24 avril 2025

Redéfinir les risques énergétiques

Le sommet a insisté sur l’élargissement du concept de sécurité énergétique intégrant mieux les risques de cyberattaques, événements climatiques extrêmes, favorisant les résiliences des chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques et le déploiement massif de technologies propres (éolien, solaire, nucléaire, batteries). « Les réseaux électriques, aujourd’hui au cœur de l’électrification des usages (mobilité, chauffage, industrie), devront être modernisés et renforcés pour éviter les goulots d’étranglement dans la transition énergétique » est-il indiqué dans le rapport final des échanges. Beaucoup d’enjeux stratégiques ont été évoqués lors de ce sommet, comme l’intelligence artificielle, alors la demande électrique des centres de données pourrait plus que doubler d’ici 2030, atteignant 945 TWh, soit plus que la consommation actuelle du Japon selon l’AIE, mais aussi la cybersécurité, notamment des infrastructures énergétiques et les chaînes de valeur des énergies renouvelables, qu’il s’agisse de l’’extraction de minéraux critiques, de la fabrication de panneaux solaires, d’éoliennes ou de batteries. « Nous œuvrons pour que les industries propres du futur soient construites en Europe, avec un pacte industriel vert. Nous allons mobiliser plus de 100 milliards d’euros pour soutenir la production industrielle propre » a déclaré la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Le ministre français de l’Industrie et de l’énergie Marc Ferracci est notamment intervenu pour rappeler l’attachement à l’accord de Paris et « la nécessité d’une décarbonation accélérée pour garantir l’autonomie stratégique de l’Europe » mais aussi souligner « l’importance de l’électrification pour réduire la dépendance aux énergies fossiles importées » qui ont coûté à la France plus de 70 milliards d’euros en 2023.