TotalEnergies va-t-elle quitter Paris pour New York ?

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Publié le 13/05/2024

6 min

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L’annonce le 26 avril à Bloomberg d’une réflexion autour d’une cotation principale de TotalEnergies à la Bourse de New York, par le PDG du groupe Patrick Pouyanné, a suscité beaucoup de réactions. Quelques jours plus tard, le ministre de l’Économie et des finances Bruno Le Maire avait indiqué sa franche opposition à cette idée. Ce 13 mai, à l’occasion de Choose France, le président de la République s’est dit « pas du tout ravi » à l’idée d’une cotation principale à New York.

Par la rédaction, avec AFP

 

Réfléchir à une cotation principale à la Bourse de New York, « une question légitime » selon Patrick Pouyanné, évoquant la montée en puissance de son actionnariat nord-américain institutionnel, devenu presque majoritaire, à nos confrères de Bloomberg le 26 avril. « Ce n’est pas une question d’émotion. C’est une question d’affaires », a-t-il ajouté, pragmatique. Une réflexion qui n’est pas du goût du gouvernement français puisque Bruno Le Maire affirmait le 2 mai sur BFMTV-RMC qu’il comptait se battre pour que le transfert envisagé de la cotation principale du géant français TotalEnergies de Paris à New York « n’ait pas lieu », évoquant une décision « grave ». Interrogé sur ce sujet hier, toujours par Bloomberg, Emmanuel Macron indiquait qu’il ne serait « pas du tout ravi » et « surpris » si une telle décision se confirmait. Le président de la République s’est également exprimé sur le « besoin d’un véritable marché intérieur » européen. « L’énergie, la finance ou les télécommunications sont des secteurs clés où le marché unique n’existe pas, ce qui était un choix depuis le tout début », a-t-il observé, estimant qu’une « approche comme marché unique » serait « bien plus efficace ». Interrogé sur le scénario d’un rachat d’une banque française par une homologue européenne, Emmanuel Macron a répondu : « Cela fait partie du marché, mais agir en Européens signifie avoir besoin de consolidation en tant qu’Européens. »

Total l’américain ?

Depuis plusieurs années, le groupe s’est renforcé aux États-Unis, pays du pétrole, à la fois dans le gaz liquéfié américain, dont il est le premier exportateur et dans les projets de stockages par batterie et d’électricité renouvelable. Depuis 2012, la part de l’actionnariat institutionnel nord-américain est passée de 33 à 48 % (dont 47 % pour les États-Unis) en 2023 tandis que celle de l’Europe (hors Royaume-Uni) est passée de 45 à 34 % sur la même période. L’actionnariat institutionnel représente 78 % de l’actionnariat total de l’entreprise. « L’emplacement du siège social n’est pas remis en question, indique le PDG de TotalEnergies, il restera à Paris. » Le dirigeant a évoqué la frilosité de l’Europe vis-à-vis de sa stratégie qui consiste à continuer d’investir dans les énergies fossiles pour continuer de rémunérer ses actionnaires et de financer sa transition vers les énergies bas carbone. « En Europe, au lieu de soutenir les entreprises européennes qui veulent faire cette transition, même si c’est difficile, ils nous regardent et nous disent : regardez, vous continuez à produire du pétrole et du gaz« . TotalEnergies l’a toujours assumé en soutenant que la demande d’énergie augmente dans le monde et que les énergies fossiles qui réchauffent les températures de la planète ne peuvent pas être remplacées aussi vite par les énergies propres. « Bien sûr, je continue à produire du pétrole et du gaz », a répété le dirigeant. Le groupe a confirmé fin avril en présentant ses résultats qu’il consacrerait, sur une enveloppe d’investissements de 17-18 milliards d’euros en 2024, 5 milliards à « l’électricité intégrée« . Cette division, qui affiche des revenus en hausse de 65 % au premier trimestre sur un an, recouvre de l’électricité produite à partir de sources solaire et éolienne mais aussi à partir de gaz, qui émet du CO₂.

Garder une cotation principale en France

« Est-ce que l’intérêt suprême de la nation est de garder le siège social de Total en France et la cotation principale de Total en France ? Oui, et donc je me battrai pour ça » indiquait début mai Bruno Le Maire. « Nous avons besoin de Total. J’ai eu l’occasion à plusieurs reprises de dire à quel point c’était un atout pour la France d’avoir une grande compagnie pétrolière comme Total », a-t-il souligné, mentionnant le plafonnement du litre du carburant à la pompe à moins de 2 euros par le groupe lors de l’envolée des prix de l’énergie. M. Le Maire a estimé jeudi que « la meilleure façon » de répondre aux besoins de financements de TotalEnergies était de mettre en place une union des marchés de capitaux (UMC) dans l’Union européenne, que la France appelle de ses voeux pour flécher l’épargne des Européens vers le financement de la transition énergétique et numérique. Aujourd’hui, TotalEnergies a déjà des titres inscrits à Londres et à New York, mais de manière secondaire.

Les hydrocarbures toujours fondamentales pour investir selon Total

Les hydrocarbures, « fondamentalement, c’est ça qui nous rapporte aujourd’hui des profits (…) et si je veux investir dans le système B [les énergies décarbonées, NDLR], il faut que je tire l’argent de quelque part (…) et donc nous continuons à investir dans le système A« , a exposé le PDG de TotalEnergies le 30 avril lors d’une audition très attendue devant la commission sénatoriale qui s’interroge sur la cohérence des activités du groupe avec les engagements climatiques de la France. « Si nous n’investissons pas dans le système pétrolier, et c’est la même chose pour le gaz, on aura un déclin de l’offre et à ce moment-là, les prix montent au ciel », a aussi justifié le patron du groupe, longuement interrogé sur le gaz, une priorité du groupe. Le patron a notamment défendu le rôle de ses contrats de gaz liquéfié (GNL) transporté par bateau depuis la Russie pour les besoins d’approvisionnement de l’Europe en gaz, alors que Moscou a coupé le robinet du gaz historique acheminé par gazoducs. « Si nous décidons, Européens, de bannir ce GNL russe, ces 14 millions de tonnes (importées annuellement en 2022 et 2023 selon lui), il faudra aller les chercher ailleurs en payant plus cher« , a-t-il prévenu.

Au premier trimestre 2024, TotalEnergies a enregistré un bénéfice net de 5,7 milliards de dollars, améliorant encore ses résultats de 3 % sur un an, grâce à des prix du pétrole et des marges de raffinage « soutenus » et en dépit de l’essoufflement des cours du gaz, indiquait le groupe le 2 mai.